DRIEU LA ROCHELLE culte assez naïf du courage et de la sensualité, une tendresse un peu sadique pour la figure hâve de la patrie. Nous nous perdions de vue, La Marche et moi, pendant des mois. Trop de coups de téléphone pour atteindre tout le monde. Et puis, pour faire une amitié il faut désirer ensemble quelque chose qui nous dépasse. Plus rien ne dépassait Guy, me semblait-il. Tout ce vers quoi il s’était exhaussé lui était, depuis l’armistice, retombé sur le nez. Nous ne soulevions encore que par saccades le poids de ce rêve de la guerre qui avait étourdi notre jeunesse. Une jeune fille me demanda de l’accompagner un soir à la foire. Elles étaient deux, l’autre plus jolie, mince. Les os trop frêles ne sou tenaient pas assez sa ligne, et ses traits étaient trop délicats pour for mer un visage régulier. Point de peau, une chair infiniment sensible, une nappe de lait brûlé. Des yeux pâles. Des cheveux cendrés, fins, indiscernables les uns des autres et d’un nombre si immense que leur masse subtile semblait peser sur ses tempes teintées de vert, sur des frêles plaques de jade. Pourtant du nerf, grâce au tennis et à la danse. Elle s’appelait Claire, ce qui est une bénédiction. Je songeais bientôt que j’étais amoureux d’elle. Nous étions dans la foule, au milieu d’un univers de rencontre, des atomes suspendus entre quelques nébuleuses. Les manèges, les balan çoires faisaient de gros tourbillons de matière clinquante et d’humanité agrippée que parcouraient, comme l’esprit d’un créateur fatigué et idiot, un bruit et une lumière atroces. Claire était rêveuse et n’écoutait pas les exclamations que me sug géraient nos voyages forcément circulaires. L’approche de quelqu’un me fit taire : Guy La Marche. Il se remet tait, sans que je le lui demande, dans ma filature. Il avait hélé Claire. Ils se connaissaient. Leurs bouches se connaissaient. ttÊÊÊ^ÊÊ