292 NOUS FUMES SURPRIS A côté de cette fille si étroite, Guy prenait de la carrure et même un faux air de brute. Pourtant Claire était flexible, mais pas cassable; elle céderait toujours sans rompre dans les bras un peu gros de celui-là qu’elle avait préféré, tout de suite et pour longtemps, et dont la tête était assez fine. Une même eau grise coulait des yeux de l'un dans ceux de l’autre. Leurs traits, en se rapprochant, s’aiguisaient. Il y avait, entre cette fille fermée, toute abîmée intérieurement, et ce garçon dépravé, ivrogne, touché parfois de nostalgie pour la vie virile, comme des fiançailles éphémères. Leurs gestes s’accrochaient : ses réti cences crispées à elle, ses réveils rudes à lui. Je les épiais avec mon espoir rabroué par tant de spectacles que m’impose le vice cruel. Je me laissais rêver aux anciens âges, de large volupté, à des alliances de forces en l’honneur de qui s’élèvent toujours en moi des épithalames. Nous étions dans une baraque dont l’enseigne était : « Musée Du- puytren. » Drôle de peuple, qu’on a dit autrefois si gai, et qui arrive à certains détours de la dure recherche du plaisir. Des couples, curieu sement unis pour cultiver par contraste leur double égoïsme, se pro mènent au milieu de ces abominations, de ces maladies qui sont sous le signe de Vénus. Faut-il qu’ils en aient de la résistance pour s’embrasser encore — ce sera de façon plus détournée — à la sortie de ce char nier. Il est vrai qu’ils supportent bien le sinistre bruit de vaisselle qu’on entend au fond des cabinets de toilette. Mais ils ne veulent pas imposer de pareilles épreuves, à la limite de la vie et de la mort, à leurs enfants. C’est pourquoi ils les laissent dans les limbes. Tout simplement, dédai gnant les grands gestes métaphysiques de l’Asie, un peuple, bras dessus bras dessous, s’enfonce dans la mort. Parmi les verges, comme des arbres travaillés par la pourriture équa toriale et les vagins comme des fourmilières éventrées, Guy et Claire s’étaient écartés de nous.