TRISTAN TZARA 323 des dents, en gesticulant, en riant ou en se bousculant, autour d’un centre de préoccupations auquel ils prêtent, comme les usuriers, la suprême importance. L’heure me fuyait entre les doigts. J’étais riche de soleil et je connais sais la volupté de dépenser facilement. D’une fenêtre ouverte on jetait, comme des sous, aux passants, des notes claires de musique gaie et gra tuite. Les employés qui retournaient à leur travail d’après-midi s’en rem plissaient bien les poches du souvenir. Le spectacle m’amusait. Je mesu rais de mon balcon leur lyrique regret. A ce moment on frappa à la porte. Mania entra. 0 Mon étonnement fut grand. Elle s’y attendait et commença tout de suite à parler. Je me refusais à voir en moi l’objet de son attraction. Je me contentais apparemment de ses raisons qui étaient d’ordre mé dical et me semblaient suspectes. Mais une idée m’obsédait : pourquoi était-elle venue chez moi? Evidemment, parce qu’elle ne connaissait personne d’autre dans cette ville et que j’aurais pu lui être utile. Elle connaissait pourtant mon ami qui était aussi un ami de T. B..., mais elle ne tenait pas à le voir, cet homme lui était désagréable, disait-elle (ayant deviné, avec la vitesse qui caractérisait sa sensibilité, l’aversion que j’avais pour lui). En quelques jours, elle finit de s’installer, de se créer une atmosphère propice à la suie de sa tristesse, à ce ferment qu’elle savait répandre autour d’elle comme une maladie contagieuse. Mais quelle ne fut pas ma surprise de voir qu’en très peu de temps elle lia une amitié fort joyeuse avec plusieurs personnes de la même pension. Elle s’excusa de ce qu’elle nommait sa frivolité, en disant qu’elle était forcée de jouer cette comé die derrière laquelle on ne soupçonnerait pas la réalité, qu’elle prenait, avec son habituelle exagération, pour une déchéance. Alors vint le grand débat, devant lequel je m’efforçais de garder