TRISTAN TZARA 327 verbale et arbitraire et sans que je pusse en contrôler la logique. Mania me consolait en fermant les yeux, pour ne pas me faire rougir, et comme maintenant je tenais à ce qu’elle ne s’en aperçût pas, j’augmentais en gravité le rêve que j’inventais. Notre jeunesse eut le dernier mot ce soir-là : le mensonge, presque avoué par sa grossièreté même, nous confirma la relative tranquillité que donne la tête enfoncée dans le sable du rêve quand on accepte lâchement l’hypothétique inversion, celle que personne ne voit en vous si vous fermez les yeux, et que, par conséquent, tout est permis. La raison, comme la vigne, tient à de plus profondes racines d’habitudes. Le désir sait si facilement s’attribuer les excuses opportunes, les accoutrements des drames historiques, les risques contenus dans les dernières minutes des naufragés, quand il veut réussir, que l’illusion devient aussi parfaite que dans les procédés d’optique. Mania, je te vois perdue dans la réalité, agitant des S.O.S. déses pérés, après avoir fui T. B., dégoûtée à l’idée que toute ta vie tu devrais rester victime de quelqu’un, que des hommes sans cœur puissent encore arborer une victoire sur l’amas de misères que tu étais, et quoique ta fierté se soit durcie, je ne puis empêcher qu’avec tant de choses que je sentais pour toi, ce ne soit ma pitié qui t’accompagne et conduise tes actes et te montre les rues, les fleuves et les maisons. Mais un destin plus acide nous guettait. Il se tenait caché derrière la tête de Mania. Et il a agi jusqu’aux dernières brûlures que nous pou vions supporter. Car il ne faut jamais s’opposer aux difficultés qu’on sent venir. Elles anéantissent et purifient. C’est le seul courage des lâches comme la propreté est le luxe des pauvres. Quel prophète, quelle chanson nous fera comprendre qu’on n’est riche que de sa vie? Alors seulement le savon du cœur pourra laver les pourritures, les linges sales, les confusions et les monstruosités dont s’honore avec fracas l’apparente gaîté des hommes. (A suivre.) Tristan Tzara.