DRIEU LA ROCHELLE
281
allaient vers moi, mais une inflexion ironique en détournait l’effusion
loyale. La nonchalance de son corps achevait de les trahir et m’insultait.
11 était à moitié habillé et vautré sur son lit. 11 avait aux jambes ses
belles bottes qu’il regardait au-dessus de sa tête, et aux bras un pyjama
assez sobre. Il était pâle, il avait déjà perdu sa patine guerrière. Ses
yeux, dans cette position horizontale, allongés sous la paupière bleuie,
écoulaient un regard faible.
Je respirais mal. Allais-je rayer de mes papiers ce garçon accepté
de si bon cœur à Paris? Etait-il si peu solide qu’il eût glissé sur cette
pelure souillée? Pourtant, j’aurais bien passé la soirée avec lui. Pour
ne pas être seul, à cause de l’éternelle et bienfaisante curiosité, et parce
que sa silhouette me disait encore autre chose que ce que je venais de
voir. Il fallait éliminer l’autre. Comment manger un morceau, et boire
un verre, et rire, et ne rien dire devant ce garçonnet aux joues d’ouate
rose?
Nous sortîmes. J’avais une voiture. Je leur proposai d’aller à Mar
seille. La Marche prit le volant, le petit se mit derrière et, pendant
quelques heures, nous nous retrouvâmes les camarades que nous avions
été le premier soir.
La Marche était fait pour maîtriser une force, pour appliquer ses
muscles à une tâche. Aussitôt qu’il était en mouvement, aussitôt que
son animalité était employée, il montrait une sorte de grandeur. D’un
seul coup sa figure s’était purifiée, la courbe de son front n’était plus
inquiétante sous la claque du vent, ses yeux dégainaient des regards
précis, le souvenir des aubes parisiennes s’effaçait de ses joues, son men
ton achevait mieux son visage.
Point de conversation, mais une mélopée se formait de nos exclama
tions dociles aux sombres péripéties de la route. Amusement, conten
tement, joie. Nous roulions de plus en plus fort. Nous entrâmes avec
confiance dans la nuit, grande compagne que nous avions perdue depuis
le front. Elle couvrit les détails de son mouvement large. Les villages