TRISTAN TZARA
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charmant qu’elle n’avait pas besoin de mentir, ce qui certainement est
un défaut pour des personnes compliquées comme moi, vivant de chaos
et de clarté.
Tant de ses propres habitudes de penser, de mots qu’on incruste avec
des boutons de sonnettes électriques dans son être, prolongent leur vie
dans celle de la femme qu’on tient devant l’objectif du cœur, en
pleine lumière sous le réflecteur, embellie par Tardent velours des rayons,
étrangement lumineuse!
Croyant avoir enfin trouvé la tranquillité rêvée, je voulus la voir
plus souvent. En très peu de jours, mon désir se distilla comme l’alcool,
mais je le dissimulai dans des calculs sournois et sans scrupules. Ma
tactique changea de direction, adroitement, et je me dois la posthume
félicitation de l’avoir peu à peu amenée, sans qu’elle s’en aperçût, à
la conscience du mal que lui faisait sa virginité.
Pour la première fois, après trois semaines, elle vint chez moi dans la
soirée. J’eus une espèce de frénésie à la déshabiller, mais peut-être eus-je
tort de trop regarder son corps, si longuement guetté par mes sens,
habillé d’un gant trop parfait, la peau tendue et brillante. Pour elle
tout restait simple et répondait à la claire nécessité que sa chair avait
choisie. Trop simple même, car, la sachant pudique (et ne voulant pas
me voir, même à travers ses yeux, dans le rôle d’un boucher acharné à
son horrible labeur), je voulus éteindre la lumière. Avec son rire sémil
lant elle me pria de ne pas le faire. Je puis comprendre maintenant son
désir d’éclairer ses responsabilités. Mais à ce moment toute sa fausse
pudicité se réveilla amassée en moi (troublée par un démon chimique),
et l’idée qu’elle fût à un tel point hypocrite, me poussa à lui ordonner de
s’habiller. Je la mis presque à la porte avec la férocité qui sauve quand
on est incapable d’expliquer ce que soi-même on ne comprend pas. Elle
ne comprit pas non plus mon insolent silence, ni la lettre que je lui
envoyai et qui était une épave d’un lointain voyage échoué, car de ma
part c’était de la honte que pour ma commodité morale je transformai
en haine et en dégoût.