244 ANDRÉ SALMON on peut le dire, la poitrine nue de Lionel. Vous êtes un Français si énor mément sympathique! Lionel entendit tousser durement Hans Macke, assis dans son fauteuil de l’autre côté du mur. Il crut l’entendre discourir, prophétiser, et il rêva tout éveillé de gens de la police verte avec leurs shakos suisses à deux visières, identiques aux cibles de la cote 283, envahissant la maison des pauvres. Moriss et lui échangèrent quelques mots à voix basse. Parole ! dit haut et le dernier, Moriss Breitenstrater. Moriss Breitenstrâter demeura dans la chambre dont Mêla, sans bruit, ouvrit la porte, puis la referma avec une feinte violence. — Père, dit Mêla, c’est le jeune Monsieur français. — Donne-lui le tabouret bleu, petit cœur. — Père, il s’excuse, il ne peut demeurer qu’un instant... — Quand revient-il? Je veux lui dire... mais vous êtes là, jeune ami?... L’Histoire, voyez-vous, est une science dangereuse, il faudrait assez de sagesse pour écrire l’Histoire sans critique de l’Histoire car, entendez bien cela, c’est par sa critique qu’on tend à nourrir l’Histoire et c’est un terrible estomac, monsieur, un ventre abominable! C’est une poche qui engloutit, qui engloutit!... Est-ce qu’il est déjà parti, petit cœur?... Je n’entends rien... je ne me sens pas bien, petit cœur... Moriss Breitenstrater passa la frontière de Hollande, par Cologne- Dortmund, adroitement maquillé, car ce privat-docent avait été aussi un peu acteur chez Rheinardt, et, les poches pleines de devises étran gères, très chic, mais d’un chic discret, inaperçu, dans l’un des beaux complets que le petit Lionel avait apporté de France pour épater les « boches ». André SALMON.