254 PHILIPPE SOUPAULT ces tableaux dont Guillaume Apollinaire écrivait que <( ces décora tions étranges sont l’unique chose que l’exotisme américain ait fourni en France aux arts plastiques » sont toujours inquiétants. On y voit le bruit des branches, le parfum des herbes, la fraîcheur des sous-bois; un frémissement insensible semble parcourir les feuilles des arbres. Le plus aimable de ces tableaux exotiques, je veux parler des Joyeux Farceurs, malgré toute l’invraisemblance de l’anecdote, n’amuse pas, étonne moins encore, mais laisse une étrange impression de fraîcheur; ce sorbet magnifique inquiète, trouble, agite l’amateur éclairé venu pour rire. Cette profonde forêt qui entoure les joyeux et agiles quadrumanes est sonore et cache dans ses lianes les innombrables vies des insectes et des grands fauves; on entend le murmure des oiseaux, le sifflement des serpents, le cri de l’animal blessé; des bruits plus inquiétants encore, trouvent dans les masses végétales un écho long comme le son d’une cloche sur la mer. L’effroi, perché sur les branches enlacées, tapi dans les grandes herbes, se cache dans les troncs d’afbres et s’étend dans le ciel, chargé de ces sombres lumières qui annoncent le soir et la nuit tombante. Lorsqu’il peignait ce tableau, Rousseau, dit-on, s’épouvantait, et, tremblant, était obligé d’ouvrir la fenêtre. Lorsqu’il « tirait » le portrait de quelqu’un, il était plus calme. Il prenait avant tout les mesures, les inscrivait fort exactement sur sa toile, les réduisait à la mesure du châssis. Des portraits qu’il a laissés, le plus célèbre est sans doute La carriole de Monsieur Juniet. Aucun peintre n’a d’ailleurs si bien compris, autant aimé, la banlieue et ses habitants. M. Juniet dans sa voiture est charmant de vanité et de suffisance; il est tout fier de se promener. C’est dimanche, et les voisins, sur le seuil de leur porte, le regardent s’en aller. M. Juniet a conscience