256 PHILIPPE SOUPAULT à personne. Rousseau lui-même ne put s’empêcher de le faire en donnant à chacun des personnages une petite branche de laurier. Aussitôt, de grandes processions se déroulent, la musique militaire ouvre la marche et brille au soleil, toutes les races se suivent et ne se ressemblent pas. Voici les nègres avec leur pagne, les Chinois avec leur natte, les Peaux- rouges avec leurs plumes, le Président de la République avec sa barbe. Tout le monde s’arrête devant une grande tente rouge : les discours vont commencer. Les nègres parleront de leur pagne, les Chinois dé leur natte, les Peaux-rouges de leurs plumes, le Président de la République de sa barbe. Puis la Paix recevra sa couronne et le premier prix. La musique militaire jouera la Marseillaise, hymne guerrier, tandis que le soleil, gai comme un pinson, se trompera de route, se lèvera à l’Ouest pour se coucher à l’Est; bien entendu, on recommencera la procession, mais cette fois, la musique militaire fermera la marche. Pauvres rêves! Chansons de deux sous! Pourquoi ne pas se réjouir ? La journée sera bientôt finie, et il faut marcher jusqu’au bout de sa fatigue, sinon com ment voulez-vous que l’on soit content ? Peindre ses rêves et ses souvenirs! Singulière destinée des peintres qui veulent et qui peuvent seulement représenter! Ce mécanisme, cet automatisme sont les liens qui risquent toujours d’étouffer le prisonnier. Le plus simple est de se soumettre, le nœud coulant ne pardonne pas. Rousseau fut le premier, peut-être le seul qui ne chercha pas à se débattre et ne sentit pas la morsure de la corde. Jamais le douanier, en achevant un tableau, ne donne de leçons, jamais il ne propose un exemple. De là, le plaisir que Rousseau procure à celui qui regarde; il ne lui donne jamais l’impression d’écouter un maître trônant dans une chaire, mais bien de se trouver au café, avec un ami, charmeur subtil et ondoyant, malicieusement bonhomme parfois, toujours extrêmement simple. Il semble constamment que le tableau qu’on vient de regarder ait été IWÊÊk