CHRONIQUE D’ART 283 arrive à faire des tableaux décoratifs en s’occupant moins de décoration (au sens où on l’entend depuis Gauguin et Puvis de Chavannes) que de peinture pure. On pourrait avec quelque apparence de raison soutenir la thèse sui vante : Un homme qui ne pense qu’en décorateur ne pensera jamais en peintre, alors qu’un artiste qui s’astreint à la discipline picturale dans ce qu’elle a d’essentiel, finira par devenir, en plus d’un peintre, un décorateur. Quel doit être le contenu moral du tableau; quel ordre d’émotions lui demandons-nous? Notre époque, on le sait, est plutôt hostile aux spéculations intellec tuelles. Michel-Ange, prétendant avec ses œuvres " em porter jusqu’au ciel toute saine intelligence ” serait plutôt mal reçu, s'il revenait incognito. L'amateur, en général, en est resté soit à la conception du tabieau-ornement, tache "amusante” et supplémentaire sur la tapisserie, soit à la conception du tableau-apéritif. Quoi de plus confortable qu’une salle à manger dont les murs sont couverts de natures mortes annonçant ce qu'on va goûter ou confir mant ce que l’on a absorbé? Les panneaux du XVIII e siècle, avec amours et nymphes, pour alcôves, sont certainement de très jolies choses, surtout lorsqu’elles sont signées Boucher ou Fragonard, mais serait-ce faire preuve d’outrecuidance que de prétendre qu’un véritable tableau doit être autre chose qu'une légère image aussi tôt oubliée que vue? Foucquet avec ses figures comme rongées par la Vie intérieure; le Poussin avec ses austè res ordonnances d'arbres, de fabriques, et de personnages occupés à des besognes toutes spirituelles; Ingres avec ses portraits intenses; Delacroix avec ses compositions tourmentées; Cézanne avec ses spéculations sensibles et cérébrales; tant d’autres peintres de chez nous, torturés par le désir " d’exprimer la vie ” —- comme on dit —