AVENTURES D’UN FRANÇAIS EN ALLEMAGNE
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Aventures d'un Français en Allemagne
A l’un des plus élégants hôtels de Charlottenbourg, l’aile élégante
que Berlin ajoute en hâte à sa forte carcasse affaissée, Lionel confiait
ses impressionnantes valises de cuir. Le valet, un géant gris perle à bou
tons d’or, ancien lieutenant-colonel russe, tondu à la Tatare, les avait
symétriquement rangées dans une chambre à la fois cossue et nue, selon
l’esprit moderne. Singulièrement respectés pour leur splendide extérieur
par le valet descendant de Rurick, les bagages du Français ne subissaient
non plus de violences intérieures. Seulement, remué en de secrètes pro
fondeurs par un petit carré de papier, signe remarquable par le volume
des caractères et l’heureuse combinaison de couleurs violentes, le Prince
Abezaroff, sous les yeux mêmes du voyageur, arrachait délicatement de
la peau qu’on eût dit vivante l’étiquette d’un palace de Venise et, l’en
gloutissant comme un pourboire dans la poche haute du veston de livrée
qui. fut sa « toujourka » de petite tenue militaire, se retirait bouleversé,
et à reculons, en murmurant des vers de Lermontoff.
Mais c’est dans une pauvre maison de Moabit que Lionel serrait son
pyjama et son sac de nuit. Une méchante valise de football payée
300 marks à une grosse demoiselle à lunettes bleues qui, campée parmi