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ANDRÉ SALMON
— Mon père vous prie de revenir demain. Je préparerai pour vous,
sous sa dictée bien sûr, un petit questionnaire... oui, c’est lui qui veut
poser les questions... oh! vous en tirerez tout de même un bon article.
Sur le seuil s’attardèrent-ils si longtemps que le vieillard put crier sa
détresse sénile et puérile :
— Mêla, tu me laisses tout seul!
Lionel se souvint seulement de la musique d’une voix plus tendre
qu’une voix enfantine quand Mêla, sans qu’il eût rien dit de lui-même,
lui demanda :
— Et où cela avez-vous été blessé?
Il ne s’était pourtant appuyé qu’à la dérobée, comme d’une main
distraite, sur sa canne à bout de caoutchouc pour aborder l’escalier
tapissé de moisissures, aux âcres odeurs de lichens et pleins de tous les
pièges mouvants de l’ombre.
Une autre fois, Mêla mit sa tête au creux des mains du Français
pour sangloter ces mots :
— Je ne peux pas le quitter, pas une seule nuit.
La fois qui suivit, Mêla feignit de reconduire Lionel qui coucha dans
sa chambre.
Et un matin, à l’aube, entra dans la chambre, où ils étaient nus,
Moriss Breitenstrater, qui portait sur un corps d’athlète un uniforme
feldgraü à galons de sous-officier et que coiffait une casquette bleue
de yachtman. Moriss Breitenstrater, dont les habits étaient déchirés
tout du long, portait au cou un pansement frais, tout blanc, et on ne
pouvait pas ne pas fixer ces linges blancs et secs sans le sentiment qu’on
allait les voir d’un seul coup devenir humides et rouges.
Mêla se couvrit la poitrine d’un jupon blanc. Lionel ne fit pas un
geste. Sur la carpette figurant une chasse au cerf en Franconie, mais
montrant la corde, Moriss Breitenstrater jeta son pistolet automatique.
— Le père... murmura Mêla.