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BLAISE CENDRARS
Je ne sais pourquoi je n’oublie ce tableau. Quel rapport a-t-il avec ma
vision nocturne? Quelle réminiscence entre cette femme et toi?... Et notre
amour ensanglanté dans tout cela... pourquoi?
Je ne sais pourquoi
Mon esprit amer,
D'une aile inquiète et folle, vole sur la mer.
Tout ce qui m'est cher
D'une aile d'effroi
Mon amour le couve au ras des flots. Pourquoi, pourquoi?
Adieu, José. »
Aussitôt, il recopia cette lettre, par extraits, dans un carnet intitulé
(( Lettres ». C’est ainsi qu’il recopiait tout, afin d’user plus tard d’une
inspiration momentanée, et aussi, afin de comprendre ses sentiments,
d’en suivre, au jour le jour, la genèse, de voir un peu clair dans son
esprit fantasque. Tout cela étaient des pratiques toutes récentes. Il
n’était pas encore écrivain, mais postulait, et pour cela il forçait un peu
l’indolence de son naturel. Toutes ces petites notes, toutes ces petites
remarques étaient bien difficiles à prendre, parfois même lui répu
gnaient. Mais quoi ? — il était encore novice, tâtonnait, recherchait.
Il se doutait bien que l’âme d’un homme de lettres est un cimetière...
Il lui fallait surveiller ses pensées, une métaphore intempestive vous
menait Dieu sait où, puisqu’il était tombé, désorienté, en Russie. Il ne
fallait pas que ces choses arrivassent trop souvent. Mais, — mais —
après tout, il valait peut-être mieux laisser agir sa propre nature, ne
pas être aux aguets, trop sur ses gardes, — et si une telle embardée
se répétait, tant pis. Il était prêt à risquer l’aventure.
Dans la rue, il continua : Il avait encore trop d’étonnements. Un
mot, une phrase, venus d’où? — lui bousculait, durant des jours, la