CHRONIQUE D’ART
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arrive à faire des tableaux décoratifs en s’occupant moins
de décoration (au sens où on l’entend depuis Gauguin et
Puvis de Chavannes) que de peinture pure. On pourrait
avec quelque apparence de raison soutenir la thèse sui
vante : Un homme qui ne pense qu’en décorateur ne
pensera jamais en peintre, alors qu’un artiste qui s’astreint
à la discipline picturale dans ce qu’elle a d’essentiel, finira
par devenir, en plus d’un peintre, un décorateur.
Quel doit être le contenu moral du tableau; quel
ordre d’émotions lui demandons-nous? Notre époque, on
le sait, est plutôt hostile aux spéculations intellec
tuelles. Michel-Ange, prétendant avec ses œuvres " em
porter jusqu’au ciel toute saine intelligence ” serait plutôt
mal reçu, s'il revenait incognito. L'amateur, en général,
en est resté soit à la conception du tabieau-ornement, tache
"amusante” et supplémentaire sur la tapisserie, soit à la
conception du tableau-apéritif. Quoi de plus confortable
qu’une salle à manger dont les murs sont couverts de
natures mortes annonçant ce qu'on va goûter ou confir
mant ce que l’on a absorbé? Les panneaux du XVIII e
siècle, avec amours et nymphes, pour alcôves, sont
certainement de très jolies choses, surtout lorsqu’elles
sont signées Boucher ou Fragonard, mais serait-ce faire
preuve d’outrecuidance que de prétendre qu’un véritable
tableau doit être autre chose qu'une légère image aussi
tôt oubliée que vue? Foucquet avec ses figures comme
rongées par la Vie intérieure; le Poussin avec ses austè
res ordonnances d'arbres, de fabriques, et de personnages
occupés à des besognes toutes spirituelles; Ingres avec
ses portraits intenses; Delacroix avec ses compositions
tourmentées; Cézanne avec ses spéculations sensibles et
cérébrales; tant d’autres peintres de chez nous, torturés
par le désir " d’exprimer la vie ” —- comme on dit —