218 PICASSO Ce serait la faute du talent. L’être surhumain n’a plus le droit de rire et même sera-ce peut-être son tour de ne plus comprendre. Si M. Bergson se trompe lorsqu’il parle de l’œil, son exemple de la main dans la limaille de fer n’en reste pas moins ingénieux, et lorsque Mlle Ashford décrit le Cristal-Palace, son erreur lui inspire les plus extraordinaires reliefs. Mais l’un et l’autre se mêlent de ce qui ne les regarde pas. Il importe donc de tenir Picasso, peintre qui ne se mêle jamais que de ce qui le regarde, aussi loin des spéculations d’un Bergson que des chances d’une enfant prodige. Apollinaire appelait Pablo Picasso : Voiseau du Bénin. Le réalisme supérieur de Picasso ne devra jamais être confondu avec la géométrie harmonieuse par quoi un autre oiseau, Paolo Ucello, prétendait rem placer la représentation du monde visible. Voici donc écartés quelques épouvantails dressés entre Picasso et le public. Délivrons-le aussi du terme cubisme. L’auteur en est Henri Matisse. « Trop de cubisme! » s’écria-t-il, en présence de toiles rapportées du Midi par Georges Braque. Elles repré sentaient des groupes de maisons en forme de cubes. Il est donc faux de comparer le terme (( cubisme » au terme <( impressionnisme », fils légitime d’une toile de Claude Monet intitulée <( Impression ». Cubisme fit voir des cubes où il n’y en avait pas et, avouons-le, en fit paraître. N’oublions pas non plus, pour excuser la méfiance d’esprits supérieurs et leur crainte d’être dupes, qu’une mystification peut fort bien se trouver à l’origine d’une découverte. Les Muses sont des personnes habituées aux égards. Manquez-leur et vous verrez comment elles se vengent. Elles ne s’abaissent pas à la colère. Elles transforment l’offense en prison. Souvent j’ai vu Picasso chercher à quitter leur ronde sous les mains nouées. Ces tentatives rendent son attitude très émouvante. Autant dire qu’il dessine alors (à sa manière), comme tout le