JEAN COCTEAU 223 paraphe une corrida, soit qu’en pliant une feuille de tôle il compose une poésie plastique, soit qu’en une nuit, assisté par les anges, il échafaude plusieurs femmes-colosses, des « Junon aux yeux de vache » dont les grosses mains cassées retiennent un linge de pierre. Des mains cassées? Des yeux de vache? Ces femmes sont des mons tres, dites-vous. Tout dépend de l’usage que vous en faites. Un monde sépare l’intensité d’expression et la caricature. Pour qui ne le constate pas, les sculpteurs d’Egine, Giotto, Gréco, Fouquet, Ingres, Cézanne, Renoir, Matisse, Derain, Braque, Picasso deviennent des caricaturistes. a Un peintre qui n’a que du talent, un Carolus Durand par exemple, et les Carolus Durand de toutes les époques dont le Louvre s’honore, possèdent le nécessaire. D’autres peintres, plus doués, moins solides (une Berthe Morisot) ne possèdent que le luxe. Un Manet combine les deux. Mais il est rare qu’un homme riche jouisse de beaucoup d’argent de poche. Picasso ajoute l’argent de poche à sa richesse. Il lui en tombe des mains, des lèvres. Parle-t-il ? Sa boutade montre ce dont il parle sous un jour cruel. Touche-t-il un jouet de son fils? Il cesse d’être un jouet. Je l’ai vu triturer, en causant, un poussin d’ouate jaune qu’on achète au bazar. Lorsqu’il le remit sur la table, ce poussin était un poussin d’Hokousaï. J’ai chez moi, sous un verre renversé, un dé à jouer en carton qu’il découpa, plia et coloria. Il me sert d’expérience. Car celui qui dédaigne cette petite chose et prétend aimer Picasso ne peut l’aimer pour le bon motif. 0 Où, chez Picasso, s’arrête le superflu? Où commence-t-il à rejoindre le capital? On se le demande. Une absence complète de cabotinage