TRISTAN TZARA 243 intensité tacite que l’électricité aurait transformée en lumière incandes cente. A l’abri de cet échange de regards engrenants, Mania déjà s’effor çait de tramer entre nous une entente occulte dont l’imprécision aurait pu facilement faire un complot. Je le savais et ne m’opposais aucune défense car, ne pouvant pas soupçonner Mania de légèreté, cela m’annon çait des mystères et la possibilité de les éclaircir excitait mon attention comme ce qu’elle avait déjà entendu de moi excitait la sienne. Le mou vement giratoire de son imagination entraînant le mien, l’engrenage étant parfait, la réciprocité de nos soupçons sentimentaux pouvait faire marcher le secret embarqué sur un véhicule qui, à cause de ces difficiles débuts, n’était encore qu’une bicyclette. Pour les assistants l’entrevue fut courte comme une formalité. Sur le billard de notre boule — elle aussi courant vers d’incalculables rendez-vous sur un autre billard sans plan, — Dieu s’est amusé à réussir certains carambolages humains. Par le choc des nerfs, souvent deux per sonnages, sans se connaître, s’imprègnent l’un de l’autre, il suffit qu’un seul vive dans l’espoir d’une rencontre pour que l’autre se sente attiré vers la crise par les ondulations des sirènes et par les exigences kaléidosco piques de ses sens. Mon ami ne me permettait pas de la revoir, il jouait le rôle de pro tecteur et il fallait s’incliner devant l’impératif de ses prétextes. Ils déci dèrent de me rejoindre une semaine après mon départ. Tout ce qui sortait des relations de platitude de ma famille, me sem blait étrange, mal établi et excitait ma fantaisie indisciplinée — une fleur défendue abandonnant sa saveur affectueuse à ma discrétion. Plusieurs spectateurs assis en rond en moi-même fixaient au centre une partie de billard qui était en train, les paris se multipliaient selon mes préoccupations de passage (l’oiseau battait légèrement sur le tambour de sa cage) de sorte que mes facultés changeaient de domicile lorsque des parcelles de moi-même étaient gagnantes au détriment des autres.