246 FAITES YOS JEUX tement en elle ce mécanisme que rien n’arrivait à forcer. Il était naturel que des symptômes à ce point irréels éveillassent en moi des doutes sur leur véracité. J’en fis part à T. B. qui pouvait désormais mettre mon attention sur le compte d’une observation scientifique. Mais mon intérêt pour Mania diminuait aussi, elle s’en aperçut et fit des efforts pour le captiver; elle se réfugiait plus souvent dans les régions somnifères, ses visions se peuplaient de symboles mystérieux et devenaient de plus en plus tourbillonnantes. Cela me donna une sorte de certitude qu’une part de sa maladie était feinte et qu’elle mettait l’autre au service de sa coquetterie. Mes jugements étaient trop positifs et se croyaient, à cause de leur féroce jeunesse, souverains et implacables, car aussi bien j’aurais pu attribuer l’aggravation de sa maladie à la peur de me perdre ou à quelque autre sentiment étranger à ma connaissance. Mais croyant qu’elle aimait T. B. et qu’elle désirait une rupture sensa tionnelle entre lui et moi pour en tirer des plaisirs plus savoureux, je m’éloignai définitivement d’elle. Rien, mais abolument rien ne l’encourageait à parfaire le plan insensé qu’elle devait, six mois plus tard, mettre si brusquement à exécution. Ma mère fut bonne pour elle, ma sœur lui montrait de l’affection. En quoi cela engageait-il ma responsabilité sentimentale? Jamais je n’eus envers elle un geste pouvant conclure à des assonances d’intimité. Jamais mon regard ne fut plus véhément que d’habitude, il s’adoucissait au contraire à l’attouchement du sien, était plein de docilité, de prévenante compassion. Rentré en ville, des événements assez obscurs me séparèrent de mes parents. Je passai quelques mois embrouillés, des nuits d’oubli sans pré caution, je vérifiais avec spontanéité les différents cris de mon sang. Je ne revis point Mania. Son souvenir, si petit fût-il, disparut dans l’exas pération de mes jeux. On eût dit qu’à chaque minute j’aurais pu clore ma vie, sans regret ni testament, tellement elle était nulle, tellement chaque