248 FAITES VOS JEUX I . ment indispensable à mes défauts nerveux. Mes yeux ont besoin de cette distraction impersonnelle, mes jambes, mes bras et mon cerveau ne fonctionnent que s’il y a autour d’eux un mouvement similaire. De ce sti mulant, en apparence cérébral, sont parties chez moi les plus hardies initiatives. J’ai passé des années entières, inerte, dans la petite ville qui absorba ma vitalité. J’y arrivai un soir d’hiver —- un ancien ami m’attendait à la gare et pour me décider d’y rester, car mon voyage ne devait pas encore s’arrêter, me conduisit d’abord dans le vieux quartier, ce qui chatouilla ma curiosité romantique et me donna en même temps une fausse idée de sa dimension. Fatigué et à moitié surpris, je ne pus m’aper cevoir que nous passâmes plusieurs fois par la même rue qui se montrait sous de divers aspects, suivant l’angle de perspective par lequel nous l’abordions. Elle était obscure et tordue, embellie par les piments d’une architecture hiérarchique et superposée. L’arbre et l’alignement social y ont imposé leur principe de construction. Les ornements gracieux et spi rituels sont les diminutifs du langage des villes et leur coquetterie. Ces murs acrobates en équilibre délicat, me semblèrent d’abord d’une certaine vivacité. Je vis par la suite que ces rues à mauvaise circulation étaient inhabitables, sales, peuplées d’animaux inférieurs parlants ou muets. A quelques pas seulement, la ville propre et nickelée comme un service de déjeuner, affluait en se condensant vers un lac dont les bijoux étaient vivants, circulaient dans de nombreux bateaux sur la surface, réglés par des horaires entremêlés et compliqués, et ouvraient pour des sommes modiques leurs sifflets, leurs installations confortables et le luxe de leurs détails métalliques. C’est ainsi que m’apparut d’abord cette ville fraîche et pleine de diver sité. Cela ne dura pas longtemps. J’ai vite établi le nombre et la qualité de ses surprises. L’ennui m’envahit avec des mélanges douloureux dé mélancolie. Les sensations de bien-être devinrent rares et tous les plaisirs étaient catalogués : les excursions, les cafés, les amis. On verra plus