TRISTAN TZARA 249 loin, au cours de ce récit, ce qui me retint dans cette mare de languis sante animalité. Des événements corrosifs attaquaient le métal propre de mes jours. Dans tout autre endroit, ils n’auraient été que des plaisirs un peu singuliers, ici ils devenaient des passions qui faisaient d’impor tantes ratures dans ma façon de vivre; ils ont écrasé, broyé ce que je croyais de verre dans ma sensibilité, ou suscité une opposition féroce et une puissance anormale dans les actes contraires à ma nature. L’in sistance de ces coups qui me poursuivaient me devint bientôt familière, et j’arrivai sans peine, inconsciemment, à me construire une vie fausse d’abus, de défaillances, de déguisements et d’alarmes. Les jours appuyaient alternativement sur les pédales de ma carcasse. Les jours aux poings fermés. Je les ai épinglés sur les rides de quelque fleur équivoque. De temps à autre, je tressaillais et m’enroulais sur moi- même, bobine de serpents frileux. Pourquoi ai-je passé tant d’années dures comme le cuir, lourdes dans leurs os de fer, vides et moroses, dans cette ville serrée par un corset de malheur? L’index tendu d’une main suspendue me montrait la direction, et des lettres sonnantes de castagnettes sèches écrivaient : « Attention » sur le bout de mes veines. 0 Ce fut d’abord le désir de ne pas être seul à s’ennuyer qui fit que mon ami insista avec une force de séduction et d’artifice singulière pour que je restasse. Il fit jouer devant moi, dans un cadre de goûts char nels, les avantages d’une vie intellectuelle qui, au point de détresse où je me trouvais, me semblait encore une occupation honorable. Et, en effet, l’hiver projeté en vitesse dans ce cinéma en retard où l’obscurité nua geuse des rues alternait avec celle des boutiques de curiosités dans les insectes chétifs qu’étaient mes yeux, j’eus le bonheur, assez rare, paraît-il, d’assister au brusque tournant d’une page qui me révéla la surprise d’un printemps hardi, large, familier, somptueux. Il y eut alors le soleil