PHILIPPE SOUPAULT 257 ciente. L'esprit de Delteil est très proche de l'esprit de feu Isidore Ducasse, comte de Lautréamont. Je ne crois pas que Delteil connaisse les Chants de Æaldoror ou Les Poésies. Ce qui prouve, en tout état de cause, que les deux auteurs se ressemblent par l'esprit. Tel passage de Choléra prouve surabondamment cette affirmation. Et ceci est une louange... Il y a dans ce livre de 200 et quelques pages une puissance miraculeuse. Lorsque l'on en a terminé la lecture on a des « fourmis » dans le cerveau. Richesse de drapeaux sous le vent et sous le soleil, regard soyeux de chats, promeneurs nocturnes. Cette imagination donne le vertige parce qu’elle est intense et qu’elle ne faiblit jamais. On peut ouvrir ce livre à la page 10, à. la page 127, à la page 98, la même admiration nous frappe en pleine figure. Delteil est bien le frère de Lautréamont (Benjamin Péret est donc le neveu de Delteil), grâce à cette surprenante faculté d’évoquer avec la domination d'un rêve les plus étranges, j’allais écrire les plus sensationnelles, sensations. Un malaise ou parfois un bien-être s'empare du lecteur de Choléra. II participe à cette poursuite incessante du désir. Pas de trêve, pas de répit. Le sorcier amoureux vous tient fermement par la main et il faut avancer. Le désir est un grand cercle rouge, signal d’arrivée, soleil couchant. Il ne s’agit pas de libertinage comme chez Louis Aragon mais de ce désir âpre comme un fruit trop vert et exaspérant comme la limonade. Delteil ou plus exactement celui qui dit: « Je... » poursuit trois femmes et ne peut posséder le repos qu’en les assassinant de ses propres mains pour peut-être respirer l'odeur du sang frais. Angoisses des rêveurs échappés de monastères. Choléra n’est-il pas, somme toute, le nouveau Roman d’un jeune homme sage. On pourrait aisément se tromper : il y a dans ce roman beaucoup de situations délicates, beaucoup d'attentes, beaucoup de reculs. Le D r Freud y trouverait à glaner de bien beaux exemples de la puissance de la censure. Nous serons moins partiaux. Cette grande imagination sexuelle devrait, si j'ose m'exprimer ainsi, nous mettre la puce à l’oreille. J'en ai la preuve. Il y a quelques jours une dame d'un certain âge feuil letait ce roman dans une librairie de la rive gauche. J’observais le