262 LE ROMAN AMANTS, HEUREUX AMANTS, par Vatery-Larbaud (éd. de la N. R. F.) Il est assez difficile d'être juste à l’égard de M. Valery-Larbaud; il a des défauts qui ravissent ses disciples, et des qualités qui m’ennuient un peu. On est tour à tour agacé et charmé, mais la manière dont il nous charme et nous agace étant également rare, on pardonne l'un pour ne songer qu'à l'autre ; et le livre fermé, on l’accepte parmi cette bibliothèque privée que chacun de nous se forme, qu’il consulte rare ment et toujours avec une ardeur modérée, mais qu'il aime à sentir à sa disposition ; ce qui nous plaît en ces livres, c'est peut-être une certaine perfection, une élégance, quelques vices, peut-être aussi les aimons- nous un peu par snobisme. Ce sont des livres qui gagnent à être lus pendant la nuit. Des trois nouvelles qui composent ce volume, les deux dernières sont écrites selon le procédé de James Joyce, de Proust, d’E. Dujardin {Les Lauriers sont coupés). C’est un monologue, une accumulation de détails ; j’arive difficilement à la fin ; quelques-uns de ces détails sont charmants ; mais il y en a d'autres. Est-ce là toute notre vie intérieure? Sommes-nous si pauvres? Je me refuse à le croire; chez Proust au moins, au milieu d’interminables longueurs, soudain se noue, éclate un drame puissant; et si l'on veut se rendre compte de ce qu’un tel pro cédé peut donner de vie ardente et profonde, que l'on relise Krotkaïa ou Y Esprit souterrain de Dostoïevski. C’est toujours l’anecdote de Moréas, bien connue, mais qu’il faut pourtant répéter; comme un camelot annonçait que son journal disait tout : — Il a tort remarqua Moréas. Plus exactement il a tort d’attribuer à tous les incidents la même importance. Le livre de M. Valery-Larbaud tend à faire croire que pour un valet de chambre, il n’existe pas de héros. Ah ! c'est à son valet de chambre surtout qu’apparaît le héros.