MARCEL ARLAND 2ea Je repousse le livre, je veux être fâché et je ne le puis. Est-ce la séduction de certaines phrases, acides, délicates et charnelles; ou d’abord l'amoralisme nullement pompeux, épars sous ces phrases et ces récits. Ce que nous venons de lire, et parfois avec lassitude : au fait, ce sont des histoires assez particulières ; deux jeunes femmes échangent une tendresse, dont, par surcroît, elles font profiter un ami commun ; une autre jeune femme se sent si heureuse qu’elle dérobe, au restaurant, une pince à langoustes et la cache sous sa jarretelle. Tout cela est dit simplement, sans la brutalité de Morand ni le romantisme de Baudelaire ; et si la silhouette de M. Gide apparaît un peu à l'arrière-plan, elle a perdu de son air démoniaque : ces anomalies sont racontées comme les faits les plus naturels ; on s'en était à peine aperçu en les lisant ; on ne peut s’empêcher de sourire ; vraiment l'auteur est de choix : dignus dignué eét intrare... Il faut mettre hors de pair la première nouvelle : Beauté, mon beau souci ; (que les titres de M. Valery-Larbaud sont aimables). C'est un récit d’une grâce et d’une habileté étonnantes, et rarement j'eus à ce point la sensation d’une œuvre presque parfaite. Une mélancolie discrète se joint savamment à l’érotisme et le rend plus aigu. C’est délicat, touchant et piquant comme un sein de toute jeune fille ; mais la jeune fille devient très banalement mère ; et cette honte médiocre et résignée nous propose une admirable sensualité. Et vers l’après-midi, lecteurs et héros, nous entrons dans la vallée bienheureuse. Marcel ARLAND.