ANDRÉ SALMON 73 le dimanche et à la bergamote, le jour de la Fête Nationale. Cette eau sera fournie par le puits artésien de la place Berthe-Morisot (après ces mots la copie revient à l’honnête dactylographie). Il faudra que la piscine arrive à payer ses frais. En fine anglaise, à /’encre violette saupoudrée d'argent : A ce sujet, qu’on se rassure, Messieurs de la Ville. Si la piscine ne sera point, à proprement parler, mixte, l’entrée en sera libre. Je ferai adopter le système en vigueur dans les bals populaires des Gravil- liers ou de la Mouffetard. A la valse ! A la vase ! chante la patronne en fleur, tapant sur sa sacoche pour en faire tinter les sous comme les menues cymbales d’un tambourin. Au bain! Au bain! crieront nos moniteurs en caleçons aux armes de la Ville de Paris avec la devise. Parce qu’il ne faut négliger aucune occasion de travailler à l’éducation du peuple, ces maîtres baigneurs, d’ores et déjà engagés, appointés et commissionnés, et au nombre de trois, répondront aux noms de maîtres classiques : Corneille, Racine, Boileau. Le bain sera-t-il compté quatre sous, dix sous, treize sous? Eh qu’importe! Et voici la merveille : pour le sexe joli, monsieur et cher interlocuteur, et particulièrement pour les vierges, le bain municipal de notre Piscine Jean Valjean sera gratuit et obligatoire. Source de bénéfices. Suivez mon raisonnement. Vêtues de leurs parures des dimanches, le plus coquettement et le plus complète ment vêtues que faire se peut et qu’y autorise le goût du jour, chapeau tées si possible et bottées haut de préférence, maquillées, j’y souscris, voire j’y encourage, au signal connu, le coup de sifflet strident du quartier-maître baigneur, le citoyen Corneille, ses auxiliaires Racine et Boileau se précipitent sur nos pimpantes citoyennes vierges et alors les poussent, les basculent, leur donnent d’adroits et inoffensifs crocs-en- jambe, bref, de bonne entente et à qui mieux mieux, avec discipline et bonne humeur emplissent d’elles la coupe marmoréenne de la Piscine Jean Valjean, où les voici qui s’y épanouissent, c’est le mot, de telle sorte que je ne puis mieux comparer le jeu qu’à cette fantaisie chère aux