MARCEL RAYAL 123 récit et boucher toute perspective. Mais le Cinéma nous a révélé le parti qu'on peut tirer des « premiers plans ». Les effets que le poète de Lampes à Arc obtient par le grossissement des détails, par les promenades sans complaisances de son objectif, sont d’un ordre analogue. a Quand la Terre tremble, il est scientifique, je crois, de noter les phéno mènes qui précèdent, de mesurer l'ébranlement du sol, d’évaluer la somme des dégâts, d’obtenir une belle courbe. C'est l'école du roman d’analyse avec Fromentin, Bourget et quelques autres. Morand, lui, nous présente le tracé du sismographe : cela nous émeut bien davan tage. Il n’intervient que lorsque les troubles sont sur le point d’éclater, que la crise menace. C’est le reporter du « great event » psycho logique, l'amateur des paroxysmes. Avez-vous remarqué que ses personnages, O'Patah comme Hahib Halabi, ont l’air d'être faits de toutes pièces, de manquer de cohésion et de solidité? Il faut l'en louer. C'est au moment où le « bonhomme » ne se tient plus, où son unité s'émiette, où l'absurde se met de la par tie, qu'il a des chances d’être vrai. Prenons garde au personnage qui, nous agace, nous oblige à nous ressaisir. Si nous tiquons, c’est que l'au teur est dans la bonne voie. Je crains trop d’affirmer pour me risquer à dire que ce qu’on appelle psychologie en est à bégayer encore et nous propose le plus souvent un jeu de dupes. Et pourtant! Brosser un portrait, tailler un buste, voilà pour le romancier un idéal bien puéril. Le sot, le vaniteux, l'in constant, la grande amoureuse sont des êtres factices, stylisés, trop près des apparences pour se soutenir ailleurs que dans vingt lignes de La Bruyère. Paul Morand pouvait — le genre de la nouvelle s'y prêtait — se contenter de plaquer quelques touches vives sur des mannequins tout faits. Le dédain des petites adresses professionnelles pourrait bien, chez ce charmeur d'images, avoir la valeur d'un présage pour son œuvre à venir. Et maintenant que j'ai pesé ce livre presque comme un critique, je veux avouer aussi qu'il m’amuse, me secoue, m’entraîne sur les pistes folles à l'allure de fantomas, de Y Ile Æystérieuse ou d'un Conan Doyle. Marcel RA VAL.