28 FERNAND LÉGER toutes les fractions des choses doivent être ramenées en esprit à un déno minateur commun par le jeu approprié des représentations espace-temps; c’est seulement cette unification faite, et l’impression générale qui s’en dégage, perçue, qu’on peut dire d’une telle peinture qu’elle est achevée. Mais il ne faudrait pas entendre ce que j’en écris, comme une appré ciation d’inachevé et d’esquisse. Si Ha synthèse n’est point réalisée com plètement par Léger, c’est qu’elle ne doit pas l’être. Ce travail qui reste à faire par le spectateur, dans les conditions voulues par le peintre et, si c’est un peintre, strictement réglées par lui, est indispensable pour embrayer la vie de la pensée et une vie profonde. Comme la littérature contemporaine exige un tout pareil effort de son lecteur, et produit l’émo tion poétique à force de pensée rapide, de suite pressée d’associations d’idées, d’appel, grâce à cet effort, au subconscient plus qu’esthétique, esthétisant, ainsi la peinture contemporaine détermine, par la même voie, des faits de subconscient d’où monte pour chacun la poésie picturale. La fragmentation dont Léger use comme de la meilleure technique psycho logique, n’a d’autre but que de provocation poétique, invocation sour- cière à l’art intime du spectateur. Et en usant de cette fragmentation, Léger est en plein accord avec les habitudes mentales de l’époque. Et comment pourrait-il ne pas être en accord avec elles qui l’ont fait, moulé, dressé comme tous les organismes malléables qui ont vécu à même ce monde dur. Car ce fractionnement est aujourd’hui une habitude géné rale de l’esprit; et plus qu’une habitude, une sorte de précepte assez vénérable, de commandement obéi partout, dans l’industrie, le com merce, la banque, la science, la librairie, l’agriculture, sous les noms de spécialisations, spécialités, spécialistes. Chaque profession se spécialise, c’est-à-dire qu’elle se fractionne. Le déclic de l’obturateur tranche le mouvement du cheval en course et fige dans la gélatine, cette coupe, fraction du temps. L’écran étale des détails dont l’architecture est monu mentale. La main, nous l’apprenons en plein drame, est plus importante