30 FERNAND LEGER d’une déformation précédente, mais au moins on ne discute plus la nécessité dans l’art de cette déformation de quelque-ordre qu’elle soit. Or, si nécessaire qu’on l’admette, cette « interprétation », elle, il faut bien en convenir, choque ceux qui font profession d’être choqués. Au con traire du nu et aussi de la plupart des objets naturels, dont les formes ne varient que dans des limites étroites et exactement connues, l’objet mécanique est une forme en perpétuelle transformation. Point de jour qu’un apect nouveau de la machine n’apparaisse. A cette création inin terrompue collaborent quotidiennement toutes les usines, tous les labo ratoires de la terre. Ouvrez ce catalogue d’opticien, cette revue de métallurgie, chaque photo est Ile portrait d’un monstre imprévu. L’in terprétation de l’objet mécanique ne transgresse donc pas si facilement les llimites du vraisemblable, limites auxquelles le gros des spectateurs et même, il faut le dire, beaucoup de spectateurs avertis, se crampon nent désespérément. Dans le domaine mécanique, le vraisemblable, en s’approchant de l’invraisemblable, s’approche du vrai. L’objet mécanique, qui se prête déjà à la déformation, se prête donc aussi et pour les mêmes raisons à l’invention du peintre. Car Léger ne déforme pas tant qu’il invente, ou plutôt il déforme tant qu’il invente, ou plutôt encore il ne déforme pas, mais déformé, construit, et fabrique des objets nouveaux, des objets en peinture. Ces objets de réalité pic turale équivalent sentimentalement aux objets réels. Je veux dire qu’au- tant que l’objet réel, ils sont susceptibles de déterminer l’émotion esthé tique, et même ils doivent être susceptibles de déterminer cette émotion mieux que l’objet réel. Sentimentalement la mécanique imaginée par le peintre doit surpasser la mécanique réelle. Cette loi de création d’équi valence, loi où l’équivalence n’est d’ailleurs qu’un minimum, loi d’art, s’oppose à l’imitation que fait de la réalité le faux artiste. En 1917, Léger, le premier, comprit que l’équivalence de la nature mécanicienne était aujourd’hui plus à sa et à notre portée, que l’équivalence de n’im-