PIERRE REVERDY 350 l’argent a joué un rôle capital. Il n’est que temps d’ailleurs d’insérer ici un détail dont chacun saisira la réelle importance. En effet la rue s’apprête à protéger le vainqueur qui cherche à perdre son désespoir dans les tourbillons du brouillard descendant et sous les franges débordantes de la nuit. Personne ne peut s’expliquer cette fuite alarmante pour la santé du nouveau champion, autant que pour sa renommée et pour sa forme qu’il risque de perdre à jamais dans le dédale obscur des rues de la cité. Et ne voyez-vous pas que toutes les plaques portant un nom viennent de sauter d’un seul coup! Pour souli gner encore l’étrangeté de ce phénomène assez significatif, les monu ments ont insensiblement rectifié leur position et les lampes s’alignent autrement dans l’espace. Mais suivons ce jeune homme suprêmement intéressé aux mystères absorbants et sympathiques de la nuit. Nous le voyons par un inexplicable privilège qui abolit toutes les difficultés de la poursuite en même temps que l’impénétrable opacité de la matière, se diriger vers les rives basses de la Seine. Il marche, le côté droit du corps formant un angle de 45° avec la terre ferme. C’est une habitude prise en regardant les photographies qui le représentent en train de porter à son adversaire le coup foudroyant qui lui a valu sa renommée. Le voilà parvenu sur les quais de pierre dure où les matelots sans logis viennent reposer pendant quelques heures leurs membres rompus par la fatigue. Comme s’il avait perçu dans le silence un étrange signal — un coup de sifflet donné au moyen de l’obélisque ou de la colonne Vendôme — il s’arrête scrutant l’ombre des parapets et les arches du pont sous lequel passe au même moment un noyé très ancien ne souriant plus que par habitude et dont le front, poli par les vagues glacées, brille comme un fanal. Il attend. Et voilà qu’apparaît dans le lointain un bateau blanc qui écarte la nuit en glissant sur l’eau douce du fleuve. Si à ce moment un