MARCEL RAVAL 369 champ de ferraille, rêveur et doux, communique avec les nuages par la fumée de son cigare. C’est un paisible promeneur. Ma compagne — Ezza est son nom — soudain s’anime, parle avec volubilité. Sa conviction que je sais l’italien l’entraîne dans des disser tations pleines de mélodie. Je souris, comme quelqu’un qui comprend. Ce sourire l’étonne. Alors Chariot trébuche; affamées comme des tire lires, ses bottines happent dans sa chute un long cerceau de tôle rouillée. Avec désinvolture, il s’en sert, sitôt relevé, pour limer ses ongles. Ezza rit, montre du doigt l’écran. J’acquiesce d’un geste. Voici une partie sévère qui s’engage. Il s’agit de prolonger jusqu’au malaise cette équi voque, qui lui échappe, basée sur l’ignorance réciproque de nos lan gages. Un air timide et taciturne est de rigueur, une attention très vive pour les péripéties du film. Si je mettais un enjeu sur cette partie? Lequel? La fidélité d’Agnès me vient à l’esprit aussitôt comme un enjeu de mauvais goût. C’est pour celui-là que je me décide. Mais Chariot entre dans un bar, vide négligemment son verre dans le corsage d’une dame et sort. Les phrases à surprises d’Ezza rendent vite complexe et délicate la marche de mon jeu. Commencées sur un ton de simple remarque, elles s’élèvent à des affirmations fébriles pour retomber, aux derniers mots, sur une interrogation précise, à bout portant. Je réponds comme un dé se fixe, au hasard, par monosyllabes ou par un signe de tête. Je viens de viser juste : son regard m’approuve. L’avantage est à moi. Cela m’enhardit dans ce jeu d’instinct et de finesses. Ses questions reprennent, deviennent pressantes, plus secrètes. Mais les négations hasardeuses que je leur oppose tombent soudain à faux. Le visage de ma compagne marque une surprise anxieuse et, tandis que Chariot, ayant à ses trousses d’énormes policemen de plâtre, saute d’un tram en marche dans une auto qui passe à toute allure, je devine, dans ses yeux, les réflexions d’Ezza sur l’étrangeté de ma contenance et l’économie de mes propos. Une petite lueur en eux éclaire des mobiles sus