TRISTAN TZARA 383 cause de la difficulté que j’ai à m’expliquer comme je voudrais. Mais la sincérité n’est pas possible, car parallèlement à un sentiment décrit, que de réactions contraires cherchèrent à se frayer un chemin et furent avalées par ce tonneau de Tantale, l’oubli à la gueule sans fond! Mon impuissance à me substituer à la personne qui par sa vie compliqua la mienne, pour me juger avec plus d’indépendance, me suffit pour que je me déteste moi-même, que je méprise mon égoïsme. Il me manque la distance entre les personnages et les événements qu’ils ont suscités. Ma critique n’est pas objective. Mes lecteurs ne pourront jamais me suivre. Et pourtant : n’ai-je pas des moments d’humilité pendant lesquels je sais que n'importe quel agissement, on a eu raison de le pousser à l’extrême, et que de tous les maux qu’on m’a fait subir, je suis la cause et l’élégant animateur. Il y a, tout au long de ce récit, de regrettables fissures de la mémoire. Je ne puis plus suivre le cours mystérieux que prit la jalousie pour dessiner sa courbe insinuante. Jaillie spontanément des plis terreux de la mémoire, par petites quantités, comme des sources d’eau, elle augmenta et devint fleuve impétueux. Nous nous trouvons encore sur son parcours, avant qu’il ne se jette dans l’océan, cette fosse commune, la confusion, qui engloutit sans distinction les passions antiques, les réactions abjectes et les fins cruelles. A l’époque où je connus Mania, toute ma candeur consistait à me laisser aller sur la route normale de mon caractère. Je ne pouvais pas m’imaginer une autre pureté que celle de ne m’opposer aucun refus. Je suis donc certain que si ma jalousie jaillit avec tant d’intensité, c’est parce que l’idée primitive que je me faisais de l’amour fut intimement liée à celle de la possession. J’aime affirmer avec orgueil que je ne