384 FAITES VOS JEUX possède rien, et qu’à chaque instant je suis prêt à faire abandon du peu que j’ai et même de ma vie. J’ai réduit mon ambition au strict nécessaire. Mais tout cela n’est qu’un résultat de multiples et doulou reuses expériences. Mon amour-propre fut trop fort, et à cause de cela, préféra se détruire lui-même plutôt que d’être subjugué par les autres. Que je pense cela maintenant, c’est peut-être un signe de la vieillesse qui décolore tout, et, en somme, suis-je sûr de ne pas me tromper et de me connaître si bien? Mais je regarde en arrière. Mania avait l’intelligence d’un régisseur qui savait régler les courroux et les intrigues dans le théâtre de ma tête. Tous les moyens lui étaient familiers : les mises en scène difficiles et les répliques inavouables m’étaient présentées sous forme de nimbe impalpable de rêve. Certes, j’ai contribué à la pousser à faire des aveux sur ses relations avec T. B., mais c’était toujours elle qui, connaissant mon tempérament, en provoquait les prétextes, soit en s’excusant, soit en pleurant sur son sort ou en accusant T. B. Souvent je poussais ma fureur vers un éclat, dans l’espoir qu’il causât une fin. Mais qu’y a-t-il de plus triste qu’une jalousie placée dans le domaine du passé? Alors je revenais. Mania voulait une grande passion et craignait que la mienne ne fût inférieure. Elle inventait des insinuations plus directes. Un jour, elle me raconta que, pendant une promenade, un enfant était accouru vers elle, ne voulait plus la quitter; le père qui accompagnait l’enfant lui dit qu’elle ressemblait tellement à sa femme morte depuis peu de temps que l’enfant l’avait prise pour sa propre mère. Quelques jours plus tard, cet homme un peu âgé lui aurait proposé le mariage. Mania me confia encore qu’elle inclinait à le faire, non pas pour lui, mais pour l’enfant qu’elle aimait, et me demanda mon avis. Je lui dis froidement de le faire si elle voulait. Je suis honteux d’avouer que, malgré l’invraisemblance de ce qu’elle me racontait, l’idée que je pusse descendre de la place qu’elle prétendait m’avoir réservée dans son cœur me gênait affreusement. Si les femmes