898 LE ROMAN (i) Songeons au divin Marquis, André Breton est plus héroïque, Aragon est plus divin. Il découle tout droit du ciel, sans passeport et sans explications. Chaque fois que je le revois, je ne peux m'empêcher de chercher ses ailes. Si j’imagine les anges, c’est sous ses traits. Et jusqu'à cet «insolent vêtement», fait plutôt pour le vol. Point d'erreur possible : la marque de fabrique de Dieu est là. En d’autres termes, je veux dire que je perçois chez Louis Aragon, d'une façon très nette, cet écho d'en-haut, ou d'en bas, ou d'ailleurs, cet écho «ahumain» qui est proprement inexplicable. Des hommes sont sur terre, mais pensent et parlent hors de la terre. Appelons ce phé nomène divinO, ou infernal; ça m'est égal. Aragon écrit : «Des messia niques et des révolutionnaires, j'y consens». Il écrit encore : «Je ne pense à rien si ce n'est à l'amour. » Il en traite en connaisseur, quoique sur le mode éthéré. Il en parle comme un papillon. A la vérité, il m'arrive parfois de voir l'amour plutôt comme un large frottement de peaux. Chez Louis Aragon, la peau n’a pas le beau rôle. Il ne cherche que le nerf. Je songe à ce chapitre qui s'appelle : La Femme Française. Et qu’on ne vienne plus après cela m’embêter avec Stendhal 1 Chaque phrase est un bel animal. Elle est parfaite en soi comme est parfait en soi un lièvre, un tapir. Elle a cette propriété merveilleuse de répondre au vœu de l’espèce. Ce n'est ni un tableau, ni une portée de musique. C'est de la belle prose. (Ahl cela agace fort Messieurs les classiques, que Louis Aragon, dada, écrive la meilleure prose clas sique!) A côté de celle-là, toute autre prose apparaît guindée, fabri quée. Celle d'Aragon est née en l'état, elle est ainsi et pas autrement, et je ne sache pas qu’on put y changer un i. On parle aussi de Voltaire. Mais Voltaire a fait Æérope. Que pensez-vous de Æérope, Aragon ? Voltaire n'aurait pas écrit : «Il n'y a que les excès qui méritent notre enthousiasme». Hors les excès de langue, Aragon ! Joseph DELTEIL