TRISTAN TZARA 153 C’est assez curieux que les étés aient tracé dans ma tête de plus clairs dessins que les autres saisons, et en appelant mon enfance, je ne vois que ce qui se passa sous les auspices du soleil. Les choses avaient besoin de son éclairage pour se stabiliser sur la couche sensible de ma mauvaise vue. Quel est le garçon qui n’a pas senti des courants suspects ondoyer dans sa sensualité quand, pleurant, sa mère lui serrait la figure contre son sein, et prolongé cette sensation pour se venger de la dureté du père? Le frôlement de chaleur des jupes soulève en lui d’obscures insi nuations qui se dévoilent pendant l’adolescence en soupçons incestueux. L’attraction est intense, et d’ailleurs réciproque. Une nuit que mes parents étaient absents — j’avais à peine dix ans —> je sortis en chemise par la fenêtre de ma chambre, traversai une terrasse et entrai dans la chambre d’une bonne que je taquinais déjà depuis quelque temps sur ses rapports avec un garçon d’écurie. D’où ai-je pris le courage de me mettre à côté d’elle, sans rien lui dire, grelottant de peur et de froid et m’efforçant de rire? Elle faisait semblant de dormir. Malgré les détails persistants qui roulent dans ma tête et que souvent on est prêt à prendre pour des vérités à cause de leur ampleur, je ne suis pas sûr que cette scène n’ait pas été un demi-rêve de fièvre. Je ressens pourtant l’écho lointain des battements de cœur qui l’accompagnèrent. Aux abords de ce doux et acharné printemps, l’héroïsme se dressait pour la première fois en moi avec son irréfutable séduction. J’avais peur le lendemain que mes parents n’apprissent tout. Les domes tiques étaient au courant de l’aventure. Elle mettait un tapis grossier de honte sur moi. Fallait-il reculer ou avancer dans ma tentative? Je fis les deux en même temps, en m’affublant d’un visage bête secoué parfois par un rire fiévreux et faux. Quel étrange et perçant désir doit demeurer dans l’enfant vibrant à l’appel de tant de secrets, décomposant avec des mains fraîches la pourriture des mystères, pour qu’il me poussât à jouer avec mes cama