PHILIPPE SOUPAULT 169 Il y avait encore autre chose. Etait-ce le soleil, le regard, les réver bères? Etait-ce l’eau, le feu, le ciel? C’était la lumière. Comme un col lectionneur de papillons, il courait à sa recherche pour l’attraper avec ses pinceaux. Il peignait. Il aimait peindre, et cet amour fut son professeur le plus sincère, le plus fort. Il continuait à sortir, parce que, dans la pièce où il peignait, il y avait des fenêtres grandes ouvertes. Il entendait le mouve ment. Les voitures roulaient sur le pavé, des gens marchaient, des remor queurs sifflaient. Il fallait bien sortir. Un jour, il entendit une rengaine, une vieille chanson morose qui montait de la rue. C’était la fête. Un grand manège tournait à perdre haleine, entraînant des lampes électriques, des cris de femmes et des mains joyeuses. La musique à répétition tour nait aussi et l’on ne savait plus voir au delà de ce tournoiement. Les foires sont d’étranges maladies. Les hurlement mêlés des trombones, le crépitement des tambours et des voix, le sifflement des lumières rappellent les bourdonnements de la fièvre. Ces odeurs de pâte chaude et d’acé tylène, ces lumières violentes, ces bousculades incessantes accompagnent nos rêves. Cet étourdissement nous attire vers je ne sais quel calme plus bruyant encore. La figure d’un homme devient un cauchemar. La soirée s’écoule en tournant pour s’éteindre enfin à bout de souffle; les mar chands se cachent. On garde derrière ses yeux des cris, des flammes, des appels. Un peintre sait voir plus clair, car il a appris à oublier. Robert Deîaunay aimait cette joie bruyante, ces longues lumières. En 1905, il terminait une toile où sa gaieté éphémère se fixait. Le « Manège électrique », où passent des cochons roses, des femmes affolées, est celui de sa jeunesse. Il a laissé dans ce halo le passage d’une heure, d’une époque de sa vie. A Paris, on construit le métropolitain, les tramways vont plus vite, les automobiles font leur apparition — 1905. Le manège électrique tourne à Montmartre, à Neuilly, près de la Seine — 1905. Paris tourne plus vite, c’est l’été. — (Il est curieux de rappeler que ce tableau fut refusé au Salon d’Automne.) — La foule tourne autour d’un