PHILIPPE SOUPAULT 171 ■BMI ÉPIiMMMF” fut quelque peu étonné quand un de ses camarades lui fit remarquer que l’homme du miroir, c’était lui, Robert Delaunay. Le visage humain est un astre pâle et qui s’éteint doucement quand les étoiles brillent. Obsession des yeux, couleur des lèvres, rougeur des joues. Une ligne continue parcourt le front comme la ligne de la vie. On ne sait s’il faut croire pour aimer ces traits si rudes, ces courbes si lointaines. Chaque nouveau regard que l’on jette sur la face d’un homme découvre un mystère. Cette difficulté attira le peintre. Il voulut à son tour regarder plus loin que l’horizon, plus haut que les nuages. Le drame ou le vaudeville qui se joue dans le crâne, l’émotion qui se perd dans la gorge, se fixe, s’alourdit encore sur la toile. Il faut, sous peine de folie, être trop rigoureusement exact. Et l’on oublie cette vie qui bat dans les multiples vaisseaux sanguins. Singulier, décevant problème que le peintre avait à résoudre. Il s’efforça, tout d’abord, de trouver en lui-même la solution. (Portrait du peintre I. Portrait du peintre II.) Un amateur accepta de remplacer le miroir. (Portrait de M. Uhde, 1907.) Ce long repos de sa jeunesse ne pouvait se prolonger. Delaunay s’évada facilement du Parc Monceau. Comme un voyageur assoiffé, comme un Parisien, il se dirigea vers la Seine et retrouva sur ces quais la fraîcheur de ses vingt ans, les rires de ses amis, l’oubli de sa morose enfance. Il en avait tout de même assez des rues grises, des silences en ruines, des statues plates et des nourrices endormies. Il n’avait jamais pu oublier l’éternelle lumière du jour, le scintillement de la nuit. Avec ce rare bonheur qui le poursuit, il sut découvrir un atelier de verre. Henri IV était son calme voisin. Les arbres, si bienveillants, du quai du Louvre berçaient son sommeil et l’éveillaient gaiement, lorsque le soleil en se levant semblait jouer d’une trompette radieuse. La brume se dissipe vite et la fraîcheur demeure comme un témoin du matin. Le travail éclate comme ces plantes à graines mécaniques. Une idée part et se plante sur la toile. Robert Delaunay retrousse ses manches et se met à peindre.