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POÉSIE
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toutes les cartes, complique un jeu qu’on croyait immuable. S’il
prend la plume de Ronsard ou de Malherbe, ce n'est point qu'il
change d’écriture. Ceux qui le regardent écrire de loin peuvent seuls
s y tromper. Ils crient au pastiche sans s’être penchés sur la page
blanche ou Cocteau dessine son ange, ses Muses, le lit de Vénus,
arrondit, en forme de pierres ou de cœurs, des images tendres qui
ne sont qu'à lui. L’esprit de vitrine, il le pratique à rebours. Pour
lui, l’étalage est un trompe-l'œil derrière lequel la pudeur rassemble
plus à l'aise ses vertus et ses diamants. Le diamant en poésie, c'est
le lieu-commun. On l'a délaissé pour des pierres cassantes et bario
lées. Cocteau le reprend, mais le taille à sa façon. Les jeux du som
meil et de la mer, les regrets de l’âge enfui, le goût de la gloire, sur les
surfaces lisses, les arêtes vives, se reflètent, brillent d'un éclat solide
et dur. Ecoutez plutôt ce chant :
Rien ne m’effraye plus que la fausse accalmie
D'un visage qui dort;
Ton rêve est une Egypte et c’est toi la momie
Avec son masque d’or.
Où ton regard va-t-il sous cette riclie empreinte
D’une reine qui meurt,
Lorsque la nuit d’amour t’a défaite et repeinte
Comme un noir embaumeur.
Abandonne ô ma reine, ô mon canard sauvage
Les siècles et les mers;
Reviens flotter dessus, regagne ton visage
Qui s'enfonce à l’envers.
Rien de plus aisé, de moins facile que ces strophes. La maîtrise,
c’est la complication devenue invisible. Quelle leçon de tact nous don
ne l'équilibriste en marchant le plus posément du mondel Avec Plain-
Chant, le beau langage reprend ses droits, les mots recouvrent leur
densité et le poème son équilibre.
Sur son avion rapide, la Muse de Jean Cocteau vient d'atterrir
dans un jardin de Le Nôtre, et la merveille c'est qu'elle s'y trouve
à Taise autant que sur les routes ardues qu’elle a parcourues déjà.
Marcel RA VAL.