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LIVRES
LE BON APOTRE, par Philippe Soupault (Simon Kra, éd.)
C’est un livre très élégant, de longue ligne. Tel un seul coup de
crayon, vous émeut le cœur jusqu’à l’orteil. Je ne parle pas seulement
de ce chapitre du Journal consacré au veston et à la cravate (et qui
d’ailleurs, à ce qu’on m'assure, est d’un goût et d’une technique par
faits) — «Il s’agit de l'éducation des années de 192... Éducation oenli-
mentalel Oui. Non. Éducation tout court.» Entre autres graves aveux,
comme je serre celui-ci I Désinvolture, lassitude, tranquille mépris de
ces enfants (avec des bonds et des ongles de fauves) : c’est avec de
telles pâtes que se fait le pain fort. Philippe Soupault y joint un charme,
une fièvre fin-de-siècle. Agir et mourir. Et cette infinie grâce de la
ligne courbe qui est une hanche et une lèvre I Et toujours le veston de
bonne coupe 1 C’est un livre extrêmement élégant.
— «J’écris l’histoire de deux jeunes gens. L’un fut mon ami, l’autre
est l’auteur de ce livre». Ou est-ce l’inverse? Pour peindre un Jean il
faut être un Philippe. Donc Jean est Philippe Soupault et Philippe
Soupault n’est pas Philippe Soupault? On n’avance de telles hypo-
tèses qu’en tremblant de ses cinq membres. Pièges à loups, pièges à
loups 1 A la vérité, le comble de la dissimulation, c'est la franchise. Et
comme ces italiques, plus que les simples lettres droites, seyent à un
Philippe Soupault! ■—- « Je me mystifie moi-même ».Non. Je le vois dans
tout son angle. Au fond, si Philippe Soupault était bien Philippe Sou
pault! J'ai envie de me rétracter. Je me rétracte!
— Ne vous rétractez jamais.
Philippe Soupault? Il est tout entier dans la phrase la plus anodine :
(•C'était un homme étonnant» •—• «A tout à l’heure». J’entends le son
de sa voix, et jusqu à ce mélodique finale qui l’ampute d’un demi-ton.
Lui-même me fournit des traits. «La Faisanderie où le vaniteux Sou-