390 PIERRE SOUPAULT autour de lui, gens, événements ou tristesses passent et repassent comme les silhouettes d’un tir. Est-ce l’un, est-ce l’autre, est-ce le suivant qu’il abattra? Ainsi la vie de Giraudoux n’a pas de frontière, ses premiers livres ne sont que des moments qu’il se plaît à fixer, à retisser en trois cents pages. Plus tard il s’efforcera de poser des problèmes et de planter des personnages et des décors mais quand il faudra tirer les ficelles et faire parler ce sera toujours la même voix, cette voix charmante de Giraudoux. Suzanne et le Pacifique, n’est-ce pas Robinson Crusoé fait Girau doux; Siegfried, n’est-ce pas encore Giraudoux en exil? Ainsi à chaque carrefour, en Allemagne, dans le Pacifique, à Paris, à Châteauroux, nous rencontrons notre ami plus gai que les jours sans pain, plus triste que les pinsons, heureux comme un botaniste qui cherche avec fièvre, avec ferveur sous chaque brin d’herbe une nouvelle fleur, ennuyé comme un facteur, attentif comme lui-même qui découvre sans presque le vouloir la poésie. Avec application, avec crainte à la fin de son adolescence, Giraudoux comprenait dans Provinciales toute cette enfance qu’il avait à dessein oubliée. Comme dans le fond d’une armoire de grenier il recherchait une petite fille, un paysage de plomb, un fruit défendu. Il inventait ses souvenirs avec tendresse, ironiquement; son cœur, son rire s’unis saient pour relier au présent tout ce qui est indéfinissable, insaisissable. Les yeux tournés dans la même direction se fatiguaient et le gênaient. Il voulait être exact, trop exact sans discerner encore comme il le fit plus tard l’exactitude du véritable. Il peignait, oubliant de récréer. C’était un amoureux plus soucieux de sa cravate que de sa bien-aimée,