394 PHILIPPE SOUPAULT tous. Pour ne pas séparer l’utile de l’agréable il les nommait : America était arnica et propagandiste, Clio adorable et naturaliste... Mais tous étaient des amis de rencontre qu’on allait perdre et la première poignée de main était déjà un adieu. Amitiés plus douces que le mal de mer, mais aussi fragiles, qu’on croit éternelles et qui, dès que l’on pose le pied sur la terre ferme, disparaissent. On ne peut les quitter ces compagnons, on va les revoir toujours; ce sont eux précisément qui verront notre premier cheveu blanc, riront de notre première ride, fer meront nos yeux pour que nous ne voyons pas le cimetière. Voici la terre et les villes, voici la nuit claire et le jour sombre des paysages et déjà nous ne pouvons nous souvenir de leurs noms, de leurs visages, nous ne les appelons plus qu’adorable, arnica... Est-ce ma faute, est- ce celle de Giraudoux? je découvre à chaque page une mélancolie, une attente, qui sont loin de l’indifférence. Je regrette, je demande pardon, je ne suis plus l’égoïste, le paresseux, le faible. Un arc-en-ciel traverse ainsi l’œuvre de jean Giraudoux et nous fait aimer ce sourire que nous lisons sur ses lèvres d’indifférent, ce sourire de pudeur. Enfin voici Suzanne, voici Siegfried. « Au fond, tous les hommes sont bons... ou du moins ceux dont le nom commence par un S, je ne réponds que de ceux-là, car c’est avec eux que j’ai vécu surtout. )) (1) Il y avait des livres, beaucoup de livres dans cette enfance studieuse de Jean Giraudoux. Il y a ceux qu’on aime, ceux qu’on estime et ceux qui étonnent. Robinson Crusoé le choquait parce que cet exilé était loin de tout ce qu’il voyait. L’imagination de Daniel de Foë le con duisait à faire agir son héros uniquement selon ses instincts et ne lui (1) Cf. Adorable CUo. — Mort de Ségaux, mort de Driegeard.