MOGANNI NAMEH 408 Il les connaissait bien! et ces maisons d’apparence si cossue et si bour geoise cachaient, dans les ferrures de leurs portes verrouillées, bien des joies illicites à ses doigts. Il avait cueilli tout un méandre de sensations à fleur de peau qui s’était fixé, en lignes ineffaçables dans la paume de ses mains. Enfin, il débouchait, comme par une lucarne, sur l’infini du ciel : la dernière arcade encadrait un paysage de minuit. Les terrasses et les échoppes dégringolaient jusqu’à l’Aar, la grande nef de la cathé drale se dressait comme un mur, dominée par la tour, et, à foi ce de fixer la nuit, ses yeux s’aiguisaient, il croyait voir scintiller les glaciers, au loin. Cette étincelle battue à la meule de la grand’ ombre allumait une flamme qui descendait du ciel et se posait, sous forme de femme, au sommet de la tour. La ville s’illuminait, des gnomes et des fées circulaient par les rues lunaires. Lui-même était un prince. Il ramenait des bois mauvais un rare butin : sur une haquenée blanche, plus pâle que ses voiles de neige, sa bien-aimée morte. Un cortège se formait silencieux derrière eux. Et ils pénétraient, sur des jonchées de lys, par les porches grands ouverts de l’église, tandis que dans la nuit, des anges chantaient des symphonies d’allégresse en faisant résonner très doucement les orgues : « Cujus oriu tripudiam Angelorum symphonia, Sub noctis canticinio Dulci deprompsit organo... » Ces longues stations dans la nuit lui avaient mis une nostalgie au cœur; il s’était détourné de ses études de médecine, gravissait le calvaire de l’antiphonaire de Saint Gall, interprétait les ardues hymnes de Tutilo, qui, maintenant, lui venaient, peu à peu, aux lèvres... Il s’absorba dans le XII* chapitre « Marbode — le livre des gemmes ». Les heures passèrent sans laisser de traces.