426 TRISTAN TZARA sion, de vente, de reproduction, de dignité et de conservation dans les musées. D’autres sont venus ensuite avec des cris éclairés pour dire que ce que les premiers avaient fait n'était qu'un excrément d'oiseau bon marché. Ils ont proposé leur marchandise à la place, une épure impressionniste réduite à un symbole vulgaire, mais séduisant. J’ai cru un instant à leurs cris d’idiots nettoyés par des fontes de neige, mais j'ai su bien vite que la jalousie stérile seulement les tourmentait. Ils ont tous fini par la confection de cartes postales anglaises. Après avoir connu Nietzsche et juré sur leurs maîtresses, après avoir tiré tout le ripolin du cadavre de leurs amis, ils ont déclaré que les beaux enfants valaient la bonne peinture à l'huile, et que la meilleure était celle qui se vendait le plus cher. La peinture à queue, à cheveux frisés, dans des cadres dorés. Voilà leur marbre, voilà notre pissat de femme de chambre. Quand tout ce qu’on nomme art fut bien couvert de rhumatismes, le photographe alluma les milliers de bougies de sa lampe, et le papier sensible absorba par degrés le noir découpé par quelques objets usuels. Il avait inventé la force d’un éclair tendre et frais qui dépassait en importance toutes les constellations destinées à nos plaisirs visuels. La déformation mécanique, précise, unique et correcte, est fixée, lisse et filtrée comme une chevelure à travers un peigne de lumière. Est-ce une spirale d'eau ou la lueur tragique d’un revolver, un œuf, un arc étincelant ou une écluse de la raison, une oreille subtile avec un sifflet minéral ou une turbine de formules algébriques ? Comme la glace rejette l’image sans effort, et l'écho la voix sans nous demander pour quoi, la beauté de la matière n’appartient à personne, car elle est désor mais un produit physico-chimique. Après les grandes inventions et les tempêtes, toutes les petites escroqueries de la sensibilité, du savoir et de l’intelligence sont empor tées d'un coup de balai par les poches du vent magique. Le négociateur de valeurs lumineuses tient le pari proposé par les garçons d’écurie. La mesure d’avoine qu’ils donnent le soir et le matin aux chevaux de l’art moderne, ne pourra pas troubler le cours passionnant de sa partie de soleils et d'échecs. Tristan TZARA.