428 PAUL FIEKENS Doucement, nous passons au gris, au beige; deux pommes mûrissent, les raisins sont toujours verts, les huîtres vont remuer dans l'écaille sous le jus des citrons pressés. Plats de gourmets, sans piment ni vanille, les Braque témoignent en faveur de la table française, en faveur des vergers, des vignobles. En faveur de la culture, si l'on veut. Est-ce la rareté d'un tel art qui fascine ? Sans doute : rien n'est plus rare que la pureté. Ne confondons pas cette vertu suprême avec un puritanisme auquel Braque, naguère, sacrifia. La sève a gonflé l'écorce, noué de frais bourgeons. La rigueur des lignes, comme aux premiers jours du dégel, cède aux souffles de l'air, aux secrètes pressions du cœur. Les objets apprivoisés reprendront sans péril quelques vieilles habitudes. La guerre est finie : le peintre victorieux accorde à la nature, sa conquête, une autonomie qu'il contrôle de loin. Miroir d’eau, si l’on pouvait découper à ta surface les reflets de l'automne et du ciell Georges Braque dispose des filets qui lui faci litent de tels larcins. Il capte une image du réel, plus souple et vive que celle des contours, des enveloppes. Il suggère peut-on dire, mais suggère avec précision : un certain flottement du motif n’enlève pas à l'œuvre son caractère immuable. L'équilibre atteint, la balance continue à trembler, c’est émouvant, c'est périlleux. 11 est plus simple de donner un coup de pouce au fléau, mais Braque est le plus honnête des peintres. Devant la réussite, on craint d’applaudir brutalement. L'art de Braque est beau comme un grand silence, chargé d’effluves, de pensée, si complet, si lourd, si léger pourtant. Deux muses un peu trapues, fluides, le symbolisent, aux nuances de la terre et des verdures naturelles. Paul FIERENS.