LES SPECTACLES 438 de Baudelaire, et aussi celle de M. Barrés, le style d’aucun écrivain ne nous avait donné cette joie. Nous n'avions pas depuis longtemps trouvé d'œuvre où les mots eussent ce poids, cette densité; et fussent, sans un soupçon d'embonpoint, si bien en chair. Le rideau se lève sur Antigone et Ismène. Derrière elles au-dessus d'une ébauche de colonnade, les masques de l'opinion publique, dans toute sa lâcheté et ses courts élans, s'expriment par une seule bouche. Ainsi se réduit le chœur, et toute la pièce est à la même échelle ; non que Cocteau coupe, mais il s'exprime avec une rapidité que seuls déplorent ceux qui d'une œuvre antique n’aiment que la poussière. Il fait beau. Antigone sera morte avant le coucher du soleil. De certains êtres, de certains pays, le drame ne nous atteint pas bien profondément, car, c’est horrible à dire, on les sent nés pour cela. C’est peut-être la raison de la légèreté avec laquelle nous envisageons la secousse russe. Qui sait si Antigone, cette jeune anarchiste, n’était pas née pour le bonheur? De cette incertitude sur le destin de chacun naît une atmosphère divine. La jeune Grecque qui joue Antigone, Mademoiselle Atanasiou, porte bien son nom. On ne tombe pas avec elle un seul instant, même au plus profond de ses malheurs, dans le danger d'oublier la naissance d'Antigone, et qu'elle est de sang royal. J’insiste sur la noblesse de Mile Atanasiou, parce que, presque par profession, pourrait-on dire, les acteurs en sont très dépourvus. Cette noblesse qu’il ne faut pas confondre avec l'emphase l'emporte à nos yeux sur la virtuosité la plus riche. M. Dullin exprime k merveille toute la faiblesse et la majesté de Créon. La sortie de ce prince, lorsqu'il se décide trop tard à sauver Antigone : « Je crains qui il soit impossible d’obéir toujours aux vieilles lois », est un admirable exemple de ce comique, situé au-dessus du rire, qui imprègne Parade, les Æariés ou le Bœuf dur le Toit. Toute la troupe de M. Dullin est d'ailleurs excellente dans Anti gone. C’est l'épreuve de tout ce que Ton peut tirer de la jeunesse, et comment suppléer à l'expérience? Car Cocteau, bien entendu, a monté son Antigone avec le soin que Ton apporte à un ballet, réglant chaque intonation, chaque geste.