332 JEAls 7 EPSTEIN donc s’imaginer qu’insatisfaite, et même qu’insatiable, privée, désirant, souffrant et en quelque sorte incomplète et incurable. Tel est le secret des coeurs qui ne se racontent pas, de l’âme vague du romantisme. On l’a appelé, ce romantisme : amour de l’amour, passion des passions, sentiment des sentiments, enthousiasme chronique, tristesse exquise et, bref, la conscience qu’un homme peut avoir de la poésie, et peut-être ce qu’il conviendrait d’appeler la poésie elle-même. Tout cela est peu. Le romantisme est la personnalité en état de volonté. Et il arrive un moment où cette volonté, se concevant insatiable, ne cherche plus à se satisfaire. Toutefois, ne pouvant autrement, elle veut, volonté neutre, sans objet, comme ne voulant rien. Si René désire, c’est sans que son désir s’attache précisément. Il aime ce qui ne dure pas, ou cesse de l’aimer aussitôt, et ce dégoût de la vie est sans doute son goût le plus pur, son goût hors de tout accident physique, hors du temps présent. Une inadaptation générale à l’actualité caractérise le romantique. Percevant mal ce qui est, il se trouve exceptionnellement doué par contre pour comprendre ce qui fut, pourrait ou aurait pu être, et même ce qui pro bablement sera. Il vit dans une surnature arbitraire, esthétique et condi tionnelle au maximum. La perspective y est celle uniquement de la mé moire, c’est-à-dire strictement égoïste, et où le passé s’arroge les modes présent et anticipateur. Un système aussi personnel n’échappe pas aux lois, sinon il échapperait à l’analyse; ses lois tout au moins sont particu lières. Lois de la réalité mentale, réalité seconde (aussi réelle, c’est entendu que l’autre, mais approchant d’elle sans la joindre), comme cette réalité même, exquises, complexes, interférentes et mobiles au point de sembler caractères, vivants et libres. Tandis que de l’une, réalité extérieure, chaque jour — il semble, au moins — déchiffre un signe, l’autre nous livre si peu que rien, de son ordre. Tous les psychologues ne sont qu’oc cultistes; tous les occultistes, c’est plus grave encore, que psychologues.