338 BLAISE CENDRARS Il avait soif... soif! Il se leva sans bruit, avec mille précautions. En traversant le maga sin il décrocha une montre d’un clou. Il avait besoin d’argent. Il sortit. Il pleuvait dans la nuit noire. Les chéneaux dégobillaient d’affreux crachats. Le vent passait par rafales brusques. Il y avait des raclements sur les toits. Il était dans un état d’esprit très morne. Le tête lui faisait mal. Il avait soif. Il aurait voulu voir beaucoup de monde, être dans une atmosphère surchauffée et violente, regarder à travers son verre vide, le lamentable tourniquet du vice nocturne, les faces beuves des hommes, la vacherie niaise des femmes, qui entrent et qui sortent. Mais où aller? Il était trois, quatre heures du matin, l’instant le plus lourd pour un noctambule, car les portes sont fermées, les locaux déjà vides et il doit faire un choix, se décider, au moment où il voudrait se laisser tomber dans le premier bouge venu. Il enfila une rue interminablement déserte, pleine d’eau, du jaune blafard des réverbères et de rancoeur. Tout au bout, devant lui, quelque chose de noir, une masse, bougeait. Il hâta le pas, heureux de cette ren contre. Si c’était un cheval, il lui tapoterait l’encolure ; si c’était un chien, il l’élirait comme compagnon de nuit... C’était un homme; il eut un léger recul, toute sympathie enfuie. C’était un cocher, un izvostschik, gros, balourd, difforme dans ses multiples manteaux, qui, ivre, roulait de porte en porte. Il le suivit. Ils dégringolèrent quelques marches usées, s’engouffrèrent, avec le vent, dans un boyau, bas, humide, où une chandelle vacillante, jetait d’étranges ombres, descendirent longtemps un escalier tournant, sautèrent par dessus des caisses de bouteilles vides et pénétrèrent dans une espèce de cuisine.