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PAUL MORAND
Et maintenant il s’agit de danser, de célébrer la victoire, de tuer
cette fatigue qui rend les pieds bourbeux. On s’amuse bien, mais pas
encore assez sans eux; et puis les spectateurs sont là pour exciter les
adversaires. Le factionnaire anti-fasciste dort sur sa mandoline. La
Préfecture fulminera demain, si elle l’ose, et les journaux parleront
« d’extermination illégale » ou « d’expédition punitive ».
Sur le seuil de l’impasse Diodore, les exécuteurs se sont brusque
ment rangés; ils viennent reprendre le Trophée. On ne peut pas les man
quer avec leurs cheveux à la mode, tout dressés en éventail, leurs ché
chias coupe « ardito » et leurs chemises noires enfouies dans des culottes
vertes. Il y a un feu de salve avec de vieux revolvers d’ordonnance. Il
pleut du vitrage percé. Puis l’obscurité, dans laquelle le piano tombe
mort avec un bruit de lustre qui s’abat, parmi les nuages de la poudre sans
fumée et ces coups à bout portant qui laissent un goût de drap brûlé.
Fuite des spectateurs. Pericolo!
Paul Morand.