feuilles libres
Paul MORAND, Tristan TZARA, P. DRIEU LA ROCHELLE,
Jean EPSTEIN, Marcel RAVAL, Dlaise CENDRARS,
Erik SATIE, Igor STRAWINSKY, MODIGLIANI,
Pablo PICASSO,
Philippe Soupault, René-Marie Hermant,
M. Sauvage, Benjamin Péret, P. de Massot,
ont collaboré
à ce
N" 29
3 fr.
Quatrième année
Octobre-Novembre 1922
Nouvelle Série
les
feuilles libres
Quatrième Année
81, Avenue Victor-Hugo, PARIS (16e)
Directeur : Marcel RA VAL
Secrétaire de la Rédaction : W. MAYR
•
Le Directeur et le Secrétaire de la Rédaction reçoivent le Mercredi, de 5 à 7 heures
81, Avenue Victor-Hugo (Tél. Passy 99-17)
Adresser toute la correspondance au Directeur des feuilles libres.
Les manuscrits ne sont pas retournés.
ABONNEMENT î
Pour Un An (Six cahiers) : 15 fr. par mandat-poste.
DÉPOSITAIRES GÉNÉRAUX r
Pour Paris et la France :
Pour l’Etranger :
AU SANS PAREIL
37, avenue Kléber, Paris
AGENCE GÉNÉRALE DE LIBRAIRIE
7, rue de Lille, Paris
SOMMAIRE
La Course Circum-Etna. Paul Morand
Lady Ramilton........................Tristan Tzara
Les Patries. ...................Drieu La Rochelle
Cœurs de René.................................Jean Epstein
Goûts d9Aventure............................Marcel Raval
Moganni Nameh (6) Biaise Cendrars
Chronique Musicale :
Propos à propos de Strawinsky ... Erik Satie
Fragment musical inédit . . Igor Strawinsky
feuilles libres:
Critique Générale : « Politique et Poésie », Philippe Soupault.
Poésie : « Notre Mère la Ville », « Dictionnaire » Marcel Sauvage. — « Signes
des Temps», Marcel Raval.
Les Arts : «Le Salon d’Automne », Benjaniin Péret.
Spectacles : « Marcel Herrand joue Candida », Philippe Soupault. — « Way
down East», Marcel Sauvage. — « Marcelle Parfsys », Pierre de
Massot.
Revue des Revues. — Bibliographie. — Aménités. -
Ce numéro est illustré de 12 Dessins de Modigliani
(Collection Paul Guillaume).
Portrait de Igor Strawinsky, par Pablo Picasso.
les feuillet libres paraissent tous les Jeux moi»
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LA COURSE CIRCUM-ETNA
311
LA COURSE CIRCUM-ETNA
Sur les plans les villes s’offrent, différentes. Les unes sont des
cellules serrées autour d’édifices municipaux, puis s’élargissent, tirées
droit vers les jardins, les hôpitaux, et la gare, dans une crevasse qui fait
éclater tout un quartier et termine le paraphe des voies ferrées. D’autres
sont fendues par un fleuve, terminées par des jetées qui prennent et cal-
ment la mer entre leurs bras. D’autres enfin composent des grilles où les
stades, les arènes et les cimetières trouvent à peine à allonger leur ovale, à
tracer leurs croix dans l’orbe des anneaux saturniens des boulevard exté-
rieurs.
Sur la place, quand la lumière manque à ses promesses et que
survient la nuit qui simplifie tout (1 obscurité rapproche plus que le jour
n’a séparé), il y a moins de différence entre les villes, et le voyageur
arrivé le soir même peut, par expérience, retrouver seul sa route, ou, s’il
n’a pas de route, son divertissement. Aussi est-il rare que dans l’émoi
d’après-dîner, posé au centre de la ville, servi par toutes les ressourcés
de l’éclairage, se sachant ignoré, séduit par l’immédiat, le provisoire,
812
PAUL MORAND
le différent, profitant de cette solitude profonde pour aimer tous les
hommes, le visiteur ne rencontre pas ce qu’il cherche.
Autour du dôme sont les cafés et les cercles, parés de glaces; ces
raquettes rejettent les images avec une incroyable violence. Comme
c’est l’Italie et le dimanche soir : une musique, dernier vestige de ce
baume appliqué si longtemps et avec tant d’efficacité par l’administration
autrichienne sur tous les prurits d’indépendance; enfin, trouant la nuit,
une horloge lumineuse et des vélums de chrome tendus entre les pre-
miers étages. A gauche partent à fond de train deux rues commerçantes
mais déjà dépeuplées, blasées sur l’amère pacotille de ces empo-
riums milanais qui ont, depuis la guerre, envahi le pays. Mais à
droite, où la rue est un plus obscur couloir, plutôt une fente, après
d’humbles débuts, la lumière est plus chaude et plus âgée. Encouragement
suprême, un sourd carillon retentit ; c’est le travail du piano mécanique.
On a raison de ne pas se coucher de bonne heure à Syracuse, où
les coqs chantent sous les lits. Place de la Liberté, la Prison dort, avec
ses sentinelles qui demandent l’heure aux passants, captive elle-même de
ses bornes enchaînées. Les chambres et les boutiques s’ouvrent de plain
pied sur la rue, et l’on assiste à toutes les veilles et à tous les couchers ;
les classes commerçantes attendent la fermeture, la tête dans les bras.
De jeunes demoiselles reviennent de la musique dans des robes de mous-
seline tendue, en sac à raisin. Les conscrits passent en se tenant par le
bout de leur baïonnette. Par cette chaleur, ces marrons sur la poêle. Et
les Vierges victorieuses qui luisent au coin des rues, polypes enflammés,
éclatantes tumeurs. Autour des fraîches pissotières, alimentées par l’eau
des monts d’Hybla, il y a autant de monde qu’autour de la fontaine
d’Aréthuse; mais non les tendres papyrus, parasols chevelus.
Le bar est voûté et crépi à la chaux. Qui lutterait contre cette
blancheur avivée par la lampe qui descend d’un fil? Les complets de
toile crayeuse, sur ce fond, cessent d’exister. On ne voit que les cheveux
LA COURSE CIRCÜM-ETNA
313
et les verres de vin noirs qui font des trous dans le mur; des festons sont
peints sous lesquels deux femmes naïves, à la détrempe, s’affrontent avec
des courges rigides qui obligent à la plaisanterie. Une affiche du Lloyd
Sabaudo indique en gros caractères les quatre départs du mois pour
l’Amérique, avec les tarifs d’émigration.
Des hommes dansent entre eux, car il n’y a pas de femmes. Il n’y
a jamais assez de femmes nulle part le soir. Ils se présentent de flanc,
les cheveux joints, en une sorte de marche qui rappelle la promenade
des premiers tangos à figures. C’est la Jeunesse Communiste qui célèbre
sa victoire de l’après-midi dans le circuit cycliste Circum-Etna. Des
maillots rouges, déteints sous les bras, et des pneus roulés autour du
corps. Quand on passe devant le piano enluminé comme les voitures
palermitaines, on fait avec son doigt un trou dans l’andrinople par où
la valse s’échappe, ou encore on tire à soi le tapis en filament d’aloès.
Il y a de grandes bourrades, sans perdre la mesure ; on se masse les poi-
gnets, on s’amuse à se retourner les doigts, ou bien à sauter, soutenu par
la taille, jusqu’aux mortadelles et autres chatteries pendues au plafond.
Sur la table, une coupe (800 % d’argent), qui est le Trophée.
Cinq cents kilomètres dans les jambes, et quelles montées et cette
farine sur la route, où un poulet à lui tout seul soulève autant de poudre
qu’ailleurs un camion de sept tonnes, ou ces dalles de lave qui cassent
les reins. A grande multiplication à travers ces odeurs de figuier chaud
et de gare qu’émet le volcan, depuis midi et l’immense reverbération de la
mer Ionienne, jusqu’à l’heure où les fumerolles soufre deviennent roses,
éclairées à l’intérieur, et il faut avouer que c’est l’Angelus.
Le classement par équipes a assuré par une avance de vingt-huit
points la victoire à la Jeunesse Communiste. La Pédale de Catane, favo-
rite, aurait dû gagner, disent les journaux du soir, sans cet accrochage
douteux qui a laissé le favori fasciste étendu dans la poussière.
314
PAUL MORAND
Et maintenant il s’agit de danser, de célébrer la victoire, de tuer
cette fatigue qui rend les pieds bourbeux. On s’amuse bien, mais pas
encore assez sans eux; et puis les spectateurs sont là pour exciter les
adversaires. Le factionnaire anti-fasciste dort sur sa mandoline. La
Préfecture fulminera demain, si elle l’ose, et les journaux parleront
« d’extermination illégale » ou « d’expédition punitive ».
Sur le seuil de l’impasse Diodore, les exécuteurs se sont brusque-
ment rangés; ils viennent reprendre le Trophée. On ne peut pas les man-
quer avec leurs cheveux à la mode, tout dressés en éventail, leurs ché-
chias coupe « ardito » et leurs chemises noires enfouies dans des culottes
vertes. Il y a un feu de salve avec de vieux revolvers d’ordonnance. Il
pleut du vitrage percé. Puis l’obscurité, dans laquelle le piano tombe
mort avec un bruit de lustre qui s’abat, parmi les nuages de la poudre sans
fumée et ces coups à bout portant qui laissent un goût de drap brûlé.
Fuite des spectateurs. Pericolo!
Paul Morand.
LADY HAMTLTON
315
LADY HAMILTOY
quand le poisson rame
le discours du lac
quand il joue la gamme
la promenade des dames
quand l’oiseau vieille fille
avale sa vie
en chansons gentilles
allume la chaîne d’air
je pense à votre extravagance
réveillé en écharpes d’ouragan
qui plisse les boucles des montagnes
sépare le beau du morne plaisir
les bonjours de vos lèvres
m’émeuvent que la pluie
égrène le fleuve
dont mon ciel s’abreuve
je m’ouvre aux rumeurs
des heures assises
pourquoi serais-je désolé
désolé désolé
mais la forêt là-bas
à quelques mètres seulement
frémit de brutalités
dans la boutique des horizons
816
TRISTAN TZARA
quoique les cils tendres
aient fermés dans leurs ornements
l’insecte de ton souffle lent
je l’attends infiniment
la dentelle douce madame
est une cendre au nuage
sans la roue des pensées sages
je ne m’aventure pas sur les routes
les routes sont mauvaises
car il n’y a plus d’argent dans les caisses
les exportations sont comme les caresses
elles ne payent pas les taxes à la douane
madame madame si vous saviez
comme je vous, aime et vous idolâtre
vous ne partiriez pas sans une assurance
sur la vie à laquelle je pense
mais elle n’est pas rétrospective
l’histoire du matin destin
maintenant il fait tard tard
dans le soulier du ravin
LADY HAMILTON
317
et que faites-vous des ordonnances
du médecin éclos du fin
savoir aux tempes mûres et belles?
je fais mes malles répondit-elle
ainsi s’écoule janvier
Février mars avril mai
juin février mars et les
années des plumes comptées — mais
à la longueur des cris virils des lampes
les bandits surent sa richesse
et découpèrent en finesse
son beau corps de chair charmante
oh les immondes les sales
mais je préfère me taire
le regret solitaire virulent
me va beaucoup mieux
et je tiens à ma beauté
à ma sanfé à ma gaité
à ma liberté à mon égalité
à ma fraternité et à ce que j’ai à dire
318
TRISTAN TZARA
ici commence dans son château
au milieu des cœurs
l’appel de son beau cœur
grand comme un monsieur
sous les vêtements des pierres
le cadenas s’ouvre aux mystères
laissez choir sur leurs gencives
le dieu charnel des heures tardives
la vigueur aiguë des cloches
finit le bavardage
on enferme les vaches magiques
au sein noir du garage
bientôt l’inclinaison
de l’obscurité certaine
vieille de mouettes
clouée et velue
louve des lilas
lente selon le tic
régulier des dormeurs
les remords politiques
des amants des printemps
et du sommeil ravagent
air et plumages
avec les roues battantes des
[vapeurs
LADY HAMILTON
319
du désir de l’autre rive
de tes bras aux rayons clos
le triste métal de l’eau
au fond flûté de ton cerveau
lorsque maternel agile
le doute nous sollicite
et nous menace je lègue
mon corps à la dérive
toujours lasse fragile
retouchée par le fard
la négligence du rire
et embellie par tout cela
la poitrine de la façade
améliorée par un ténor
c’était une vague perdue
dans la coulisse de la mer d’or
effaçant le câble le capitaine
songe au bonheur nettoyé
comme un revolver — viens
je mettrai^mes oublis sur ta plaie
loin du naufrage célèbre
de l'orage d’orangeade abandonnée
je mettrai mes ours en cage
et mes sentiments résistants
[à l’épreuve
320
TRISTAN TZARA
jamais jamais je n'oserai
te donner ma voix gelée
le vif métal de l'eau
au fond flùté de ton cerveau
où longuement scepticisme
je méditais l'avalanche civile
le grave métal de l’eau
au fond flûté de ton oreille
que l’hiver vienne en ami
accroché à sa loterie
qu’on agite le sac des neiges
aux avatars des dieux aurifères
qu'on éparpille les gestes des choses
et qu'on tire la clarinette du cothurne
qu’on me regarde de côté
a l’embarras du froid nocturne
qu'on gèle la musique sur l’évangile
et que l'on crève en rêves habiles
d’une voix forte les reflets
quitteront la maison mais ce n’est pas ma faute
mais à quoi bon puisque je t’aime
conquérir les cris du monde
Tristan TZARA.
LES PATRIES ET L’AVENTURE MODERNE
323
Les patries et T aventure moderne
Les patries sont sorties de la guerre couvertes de sang, chancelantes.
Leurs entrailles ont été souillées, selon la nécessité impure, par le profit.
Mais que leurs faces sont émouvantes, émaciées par le sacrifice de leurs
enfants. Elles sont aimées d’un amour exaspéré.
En ce temps-ci, toutes les tendances sont poussées à l’extrême et
raffinées par la conscience. Notre sensibilité patriotique est inouïe. Elle
est maladive, faite d’inquiétude, de doute. Elle s’enfièvre de ce reste de
sentiment religieux qui ne trouve plus sa voie ancienne. Ses racines
avares sollicitent toutes les parties de notre esprit. Elle se perd aussi
dans la manie, les ridicules. Mais c’est la grande hallucination des temps
modernes.
324
DRIEU LA ROCHELLE
Quoi de plus pathétique, de plus fantastique que ces peuples autre-
fois égarés qui, depuis un siècle, se cherchent, se rassemblent comme dans
des limbes, s’illuminent de la découverte de leur génie, se perdent encore,
se retrouvent, puis s’emplissent de plus en plus du pieux amour d’eux-
mêmes. Bientôt ils ne résistent plus au sentiment et à l’idée. Gonflée d’un
murmure de poètes, de chanteurs, la foule s’élance et génufléchit dans
l’hécatombe des émeutes. Les soldats jurent, frappent, répriment cette
faible indignation. Alors les armées rebelles se forgent comme des âmes.
Enfin le jour de délivrance est arrivé. Il y a eu dans toute l’Europe une
résurrection de la chair des nations. Et cette bonne nouvelle se propage
maintenant en Asie, en Afrique. Mystérieuse reviviscence des formes.
Ni les uns, ni les autres, nous ne pouvons être étrangers à ces grands
mouvements d’amour. Il en est de plus vastes encore. Et nous ne les igno-
rons, non plus, car tous les penchants de l’amour se succèdent les uns
aux autres. L’amour des patries a cette première et véridique séduction,
il est charnel. On aime des êtres et des choses qu’on connaît, qu’on voit
avec ses yeux.
Mais comment l’homme qui peut fournir aux plus hautes exigences
de l’esprit, nourrira-t-il une telle passion? Dans ce dernier quart de
siècle, certains ont assouvi par elle de puissants et nobles désirs, d’Annun-
zio, Kipling, Barrés (1) ont été pour les patries des amants légendaires.
Ils ont bien fait, ils ne pouvaient faire autrement. On adore la mer-
veille humaine en réservant un soin idolâtre à une de ses multiples figures.
Chacune est assez étonnante pour qu’on s’y complaise et qu’on la préfère
avec emportement. Mais ceux-là même qui ont tant aimé leur patrie et qui
ont découvert des ressources de cet amour inconnues des siècles précé-
(I) Et par les voies plus secrètes qu'André Gide a choisies, de délicates preuves de cette
dilection nous ont été offertes.
LES PATRIES ET L’AVENTURE MODERNE
325
dents, nous donnent une leçon qui, à être bien entendue, dépasse l’exem-
ple qu’on y a d’abord vu. En effet, aucun ne s’en est tenu à cet amour
singulier, ou il ne l’a poussé si loin qu’après avoir exercé son cœur sur des
objets concurrents, et nourri son esprit de leur substance différente. C’est
ainsi que Gœthe, Schopenhauer, Nietzsche, Michelet, Renan, Taine, ont
aimé complexement la France et l’Allemagne, que Barres, Maurras et
d’Annunzio se sont épris de plus d’un aspect méditerranéen, que Kipling
a trouvé dans l’immensité de son Empire la possibilité de satisfaire un
génie vorace et de dédier une tendresse ambiguë à l’Angleterre et à l’Inde.
Et l’on a dit que le génie n’a pas de patrie! Non seulement il en
a une, qui est son indispensable attachement au concret, ce concret sur
quoi il se jette voluptueusement, qu’il aime tant qu’il le sublime, et en
tire cette goutte d’essence : l’humain, qui parfume notre petite bulle ; mais
il en a au moins deux, renforçant l’une par l’autre.
Ces alternances, ces croisements spirituels sont irrésistibles. Nous
sentons la poésie de l’aventure terrestre quand nous voyons cette même
nécessité qui rapproche et oppose tour à tour les protagonistes.
Par leurs démarches libres, les grands hommes achèvent dans les
hautes régions les harmonies qui s’élaborent perpétuellement entre les
maîtres-peuples. Nous les imiterons prudemment.
Nous aimons trop le mieux, pour ne pas porter des jugements de
valeur. Il y en a toujours de par le monde quelques-uns qui savent où est
le point sensible, où se porte la faveur des dieux et où pèse la responsa-
bilité : chacun son tour. A certains moments le peuple le plus valeureux
ne doit pas réclamer la plus lourde charge. Il y a des moments de replie-
ment, non pas de repos.
Aujourd’hui, nous, Français, avons plus à faire avec nous-mêmes
326
DRIEU LA ROCHELLE
qu’avec les autres. Notre plus grand ennemi est en nous-mêmes. Il faut
que nous nous tournions vers la mort qui est entrée en nous.
Mais en nous enfonçant ainsi en nous-mêmes nous atteignons un
mal, un péril qui est plus profond que nous-mêmes, qui est humain; nous
mettons la main sur ce qui est tragique pour tous les hommes d’aujour-
d’hui.
Ce qui dépasse une patrie, c’est la vitalité des meilleurs des hommes
qu’elle a mise au jour. Ils sont plus forts que les événements, et alors
qu’elle fléchit, leur esprit étincelle encore au front de leur mère. Ils
peuvent toujours, dans un acte surprenant, ressaisir ou résumer tout l’effort
de leur race.
Les jeunes Français doivent être de tels stoïques.
A leur France, dont un excès de civilisation cause le fatal rétrécis-
sement psychologique, le tarissement de la bonne volonté créatrice, à leur
France qu’un effet de l’optique mondiale fait petite entre les nouvelles
nébuleuses, ils trouveront deux moyens pour lui redonner sa pleine mesure,
pleine mesure.
D’une part elle renonce à un éclat solitaire et s’amalgame aux
constellations qui se brassent en Europe, qui sont des promesses
d’ordre dans le chaos et qui lui prodiguent la force mise en commun.
D’autre part, elle se recueille dans une méditation sévère sur le sens de
l’effort humain, dissipe la tentation éphémère d’une prédominance par
les armes et les outils, maintient sa tradition spirituelle, la renforce de
toutes les tendances libératrices qui se font jour en Orient et ailleurs, enfin
tourne sa langue dans sa bouche pour y former une parole humaine que
les événements rendent bientôt nécessaire et décisive.
C’est ainsi que les jeunes Français, brûlés par les fournaises de la
LES PATRIES ET L’AVENTURE MODERNE
327
guerre, menacés de dépérir dans l’étroit cercle géographique de la
France, peuvent se donner de l’air et élargir leurs aspirations à la limite
du monde.
Par un dernier effort, je voudrais aller jusqu’à percevoir les éléments
de la discipline universelle à quoi ils vont délibérer de soumettre leur
dévouement.
Drieu la Rochelle.
CŒURS DE RENÉ
829
CŒURS DE RENÉ
Sinon un métier, je ne sais plus ce qu’est l’art. Une manière de
poète sud-américain s’excitait un jour à me prouver que seul était art
ce qui échappait aux nécessités premières. Il n’y aurait donc eu d’artiste
que Josué vivant un instant incalculable d’une vie chef-d’œuvre, dans
le déterminisme sursitaire par panne de gravitation universelle. Et peut-
être, en vérité, n’y a-t-il point encore eu d’art qu’à l’état de prédisposition,
d’esquisse, d’embryon ou d’effort échoué ; peut-être n’y a-t-il pas encore
eu d’art comme il n’y a pas eu de bonheur, sauf à venir dans les tarots
cartomanciens; peut-être la fleur dont l’art sera le gynécée mûri, fruit
brûlant, éclôt-elle seulement ses premières feuilles, une tous les mille ans,
pour de très futures civilisations? Car je ne crois pas que l’art soit dans
ces livres qui se vendent, se vendaient, se sont vendus, s’étaient, se fussent
330
JEAN EPSTEIN
vendus, vendus, se seront, se seraient vendus, vendus, ou qui ne se vendent
pas, ne se vendaient pas, ne se vendront jamais. Ni dans les tableaux. Ni
dans les idéogrammes communément appelés dada, sorte de nain jaune
pour personnes extrêmement intelligentes et désœuvrées et pâles sans
doute. Nous ne sommes pas mûrs. La matière aura eu ses contagions,
microbiennes dit-on. Aux jours de l’art, l’idée se communiquera, incu-
rable dans les pestes. La folie des martyrs et des croisades, le plaisir
de mourir et de tuer, la panique des tremblements de terre et ce qu’on
imagine de la peur du déluge ou de l’Atlantide effondrée, ne sont
rien. A force de pensée tout nom sera devenu une chose et le néant
même, concret. Déchirant un million de cœurs souffrants, irréparable,
l’art éclatera comme le point le plus aigu de la douleur, comme éclata
parmi les hommes en route contre Dieu, au plus haut de la spirale,
l’atroce confusion des langues de Babel. Comme aux Juifs, entre les
nuages, le visage d’un Dieu apparaissant, gros plan désespéré.
Telle sera, au delà de l’art à vrai dire, l’action d’un esprit, un seul
peut-être, et d’une idée, une seule peut-être et la dernière, engendrées
par la volonté la pire, impitoyable parce que non voulue, ni compréhen-
sible, ni raisonnable. D’un homme, premier poète, Christ conquérant,
René qui ne laisse plus fuir son cœur en jolis gestes gratuits, Machiavel
rêvant l’âge d’or; premier aussi des philosophes guerriers pour qui des
peuples d’idées silencieuses glissent leur vol exterminateur. L’énergie
inaltérable qui ne peut plus s’empêcher de vouloir, s’appelle amour,
comme s’il n’y en avait jamais eu d’autre. Celui-là est couleur d’agonie,
satisfait aux environs de la mort, prémédité et regrettable comme un
crime.
Est-il bien sûr que j’anticipe? L’avenir est ce cœur du peloton
qu’en laisse je tiens par le bout du fil. Tandis qu’il se déroule, Paracelse
écrit ; Ne plaisantez pas avec ceci, car vous ne connaissez pas la force
de l’attention. L’attention de la bête fait l’homme, et de l’homme, ce
CŒURS DE RENÉ
331
sage démon. Sagesse dont un coup d’aile maladroit fendrait les lourds
continents des lois physiques.
Et il n’y eut de poète, de philosophe, d’amant, de personnalité enfin
que romantique. La personnalité passe l’intelligence. Elle est âme visible,
hérédité apparente, charme dominant, grâce innée, un peu moins et
tellement plus que la perfection. Elle habite les coins les plus secrets des
gestes et ne s’énonce qu’entre les paroles, tissant tout le silence qui les lie.
Mais le moindre frémissement des lèvres où bat le sourire, rideau de
tics; la plus faible inflexion de la voix qui plie le vol des pensées, grésille
alors d’une activité secrète. Et, si dissimulée soit-elle, aucun visage ne se
ferme assez qu’elle n’éclate tout entière dans une ride; aucune paupière
ne clôt assez l’œil qu’elle ne se coule entre deux cils. Peut-être c’est
vrai : sur cent mille hommes un, grâce à on ne sait quelle mystérieuse
combinaison de causes entre sa naissance et sa mort, faveur de Dieu,
posséderait la chance. Seule la personnalité happe et dresse ce sort, étant
sans doute le sort lui-même. Comme un cristal ajoute à sa masse la
masse surfondue où on le précipite, elle conquiert et s’annexe les âmes
nées dans son attente, orientées comme elle. Le génie même est moins
qu’elle, preuve de la prédestination. Elle est, me disait lundi Léger, ce
qu’il y a de dur et de moche dans un type, néanmoins ce par quoi il
vous prend. Peut-être, oui, est-elle plus faite de défauts que de qualités,
mais défauts admirables, défauts de cœur, signatures de la passion qui
bute, faiblesses excusant l’excès de force ensuite, coin d’humanité
atrophiée, débauche d’ange, péché de saint, enfantine vanité de Cha-
teaubriand, vice de Rimbaud ou de Wilde, moribonde piété de Racine,
bêtise de Napoléon, mort de Pascal.
A ce point d’épanouissement, la volonté est devenue passion, et
la passion, volonté seule. On ne peut plus dire que la personnalité veut,
car elle est le vouloir lui-même. Elle n’existe que comme volonté. Satis-
faite et cessant de vouloir, elle cesserait d’être. La personnalité ne peut
332
JEAls7 EPSTEIN
donc s’imaginer qu’insatisfaite, et même qu’insatiable, privée, désirant,
souffrant et en quelque sorte incomplète et incurable. Tel est le secret
des coeurs qui ne se racontent pas, de l’âme vague du romantisme.
On l’a appelé, ce romantisme : amour de l’amour, passion des
passions, sentiment des sentiments, enthousiasme chronique, tristesse
exquise et, bref, la conscience qu’un homme peut avoir de la poésie, et
peut-être ce qu’il conviendrait d’appeler la poésie elle-même. Tout cela
est peu.
Le romantisme est la personnalité en état de volonté. Et il arrive
un moment où cette volonté, se concevant insatiable, ne cherche plus à
se satisfaire. Toutefois, ne pouvant autrement, elle veut, volonté neutre,
sans objet, comme ne voulant rien. Si René désire, c’est sans que son
désir s’attache précisément. Il aime ce qui ne dure pas, ou cesse de
l’aimer aussitôt, et ce dégoût de la vie est sans doute son goût le plus
pur, son goût hors de tout accident physique, hors du temps présent. Une
inadaptation générale à l’actualité caractérise le romantique. Percevant
mal ce qui est, il se trouve exceptionnellement doué par contre pour
comprendre ce qui fut, pourrait ou aurait pu être, et même ce qui pro-
bablement sera. Il vit dans une surnature arbitraire, esthétique et condi-
tionnelle au maximum. La perspective y est celle uniquement de la mé-
moire, c’est-à-dire strictement égoïste, et où le passé s’arroge les modes
présent et anticipateur. Un système aussi personnel n’échappe pas aux
lois, sinon il échapperait à l’analyse; ses lois tout au moins sont particu-
lières. Lois de la réalité mentale, réalité seconde (aussi réelle, c’est entendu
que l’autre, mais approchant d’elle sans la joindre), comme cette réalité
même, exquises, complexes, interférentes et mobiles au point de sembler
caractères, vivants et libres. Tandis que de l’une, réalité extérieure,
chaque jour — il semble, au moins — déchiffre un signe, l’autre nous
livre si peu que rien, de son ordre. Tous les psychologues ne sont qu’oc-
cultistes; tous les occultistes, c’est plus grave encore, que psychologues.
CŒÜKS DE EENÉ
883
Ce détachement du temps présent est, dans l’esprit, un caractère
subliminal, plus ou moins. Ce n’est pas fait pour étonner. Voici, à coté
de l’état lyrique, un second état mental riche, le romantique, parent du
premier d’ailleurs, tributaire du subconscient, ces limbes dans l’homme.
La conscience, c’est-à-dire deux et deux font quatre, je pense donc j’étais,
n’est donc pas autant qu’on le croit, idole souveraine. Flamme froide,
aurore à peine et gelée encore, d’un soleil montant. Alors que la terre
froidit, l’autre feu couve ses promesses, cuit et recuit les règnes du cœur.
J’imagine une civilisation sinon exactement lyrique et romantique, au
moins, voisine du romantisme, et, sans doute, en ayant dépassé ces pré-
misses que nous connaissons. Il ne s’agit plus de littérature, sinon comme
enregistrement d’intelligence générale. Au ciel mental, les révolutions
cardiaques règlent un calendrier supérieur. Regardez l’avenir enceint de
poésie comme de souveraine obésité un roi de Pologne.
Jean EPSTEIN.
334
MARCEL RAYAL
GOÛTS D’AVENTURE
Je Vavais rencontrée dans un miroir de
Luna Park. Grâce a Vétirement morbide9 la
contraction presque tragique dont ce miroir
handicapait ses gestes9 elle s*était assimilé le
charme fuyant et sédentaire des femmes de
Modigliani. La menthe verte dormait dans nos
verres comme un soleil las dsattendre le cré-
puscule désormais impossible. Un froid bleu
traîna son aigrette sur nos épidermes sans dé-
fense. Nous partîmes remuer d*autres lunes9 ha-
biles a nous soustraire a la fatalité du cercle
refermé toujours sur les délices secrètes de
Vavenlure.
Aérostats9 dragons ailés9 qu enrôlait une
musique grasse et sans issue9 détresse moulue
des loteries dont la roue meut la destinée du
verre et du nougat9 quels tropiques suspects9
quels horizons de fortune nous connûmes sur
vos montures ! Quel mal de mer !
GOUTS D’AVENTURES
335
La gorge étoilée du nègre, ces ombres sous
le réverbère d'en face, toute la nuit bousculée
de draperies et d'horoscopes sentimentaux, his-
sèrent le rire des confins de ma lassitude muet-
te. Jouer a coeur-volant ? Dans le désordre
blanc des lavabos, je bute et tombe sur le rail
glissant d'un regard. Rasade de ciels perfides
dans une bouche renversée. Voyages autour du
serpent rose. Au retour, la lumière salée figea
ma solitude dans ses équerres. La nuit, dehors,
poussant ses pions sur le damier des casquettes.
Je cours après sa chevelure et ses mensonges.
Les gares retiennent mon abandon dans une
abside ou les anges prennent de l'eau bénite aux
guichets. Fumées de VEternel. Le cœur s'arra-
che comme une montre. ( Pick-pockets, vous
avez le regard du fanal ). Vocabulaire des
trains maudits. Et les dragées douces du dé-
part. ..
Marcel RA VAL
MOGANNI NAMEH
387
MOGANNI NAMEH
VI
Il ouvrit les yeux. ...
Il était étendu sur son lit, tout habillé.
En face de lui, sur une chaise, la mère dormait. Elle l’avait proba-
blement veillé.
Les autres dormaient, sonores.
Sur son front, un bandeau glacé. Cela le gênait horriblement, car
s’il avait la tête chaude, ses extrémités étaient froides et il faut bien que
le foyer calorique se maintienne quelque part, que diable! Deux filets
d'eau lui pourfendaient les tempes. L’eau froide, c’est si brutal. La
méthode de tremper un membre blessé dans de la glace ou d’exposer des
malades au fouet des douches, le scandalisait. Ce qu’il lui fallait, à lui,
c’était de l’alcool. Il avait remarqué, que le cognac par exemple, abat
les températures, éteint les fièvres,
338
BLAISE CENDRARS
Il avait soif... soif!
Il se leva sans bruit, avec mille précautions. En traversant le maga-
sin il décrocha une montre d’un clou. Il avait besoin d’argent. Il sortit.
Il pleuvait dans la nuit noire. Les chéneaux dégobillaient d’affreux
crachats. Le vent passait par rafales brusques. Il y avait des raclements
sur les toits.
Il était dans un état d’esprit très morne. Le tête lui faisait mal.
Il avait soif. Il aurait voulu voir beaucoup de monde, être dans une
atmosphère surchauffée et violente, regarder à travers son verre vide,
le lamentable tourniquet du vice nocturne, les faces beuves des hommes,
la vacherie niaise des femmes, qui entrent et qui sortent.
Mais où aller?
Il était trois, quatre heures du matin, l’instant le plus lourd pour un
noctambule, car les portes sont fermées, les locaux déjà vides et il doit
faire un choix, se décider, au moment où il voudrait se laisser tomber
dans le premier bouge venu.
Il enfila une rue interminablement déserte, pleine d’eau, du jaune
blafard des réverbères et de rancoeur. Tout au bout, devant lui, quelque
chose de noir, une masse, bougeait. Il hâta le pas, heureux de cette ren-
contre. Si c’était un cheval, il lui tapoterait l’encolure ; si c’était un chien,
il l’élirait comme compagnon de nuit... C’était un homme; il eut un
léger recul, toute sympathie enfuie. C’était un cocher, un izvostschik,
gros, balourd, difforme dans ses multiples manteaux, qui, ivre, roulait de
porte en porte.
Il le suivit.
Ils dégringolèrent quelques marches usées, s’engouffrèrent, avec le
vent, dans un boyau, bas, humide, où une chandelle vacillante, jetait
d’étranges ombres, descendirent longtemps un escalier tournant, sautèrent
par dessus des caisses de bouteilles vides et pénétrèrent dans une espèce
de cuisine.
MOGANNI NAMEH
339
L’izvostschik se laissa tomber sur une table, et s’endormit.
Il commanda une grande bouteille de vodka et s’assit dans le coin
le plus reculé de la voûte.
Quelques chaises et autant de tables de sapin blanc dans la boue
noire du plancher. Cinq bougies de cire jaune brûlaient dans une lan-
terne vitrée, d’où tombait une lourde araignée d’ombre qui étreignait
la salle comme de ses pattes. Le plafond, au lait de chaux, s’illuminait
par au-dessus. Des blattes couraient partout, traversaient rapidement les
nappes tachées, sautaient les miettes, les débris, allaient se noyer les
pattes en l’air, dans de la vomissure.
Il but coup sur coup quelques verres et sortit de sa poche les
(( Séquences ».
(( Oui, le titre fait bien sur cette page blanche; mais après, après...
Il faudrait mettre une dédicace : <( à Elle... », non « à R... »,
non tracé, « à O... »; non, tracé, tracé <( à Elle » — naturellement!
Qui ça « Elle »?... Nous avons toujours une « Elle » à qui dédier.
« Elle » — « Elle!... ha, ha,... Voyons, si je mettait « à Rosebelle »
... je n’ai qu’à recopier cette feuille, — elle la recevra encore avant midi,
ça lui fera plaisir.
A quoi bon se donner tant de peine! J’ai là quelques sonnets tout
faits, dédiés l’année passée (( à R. R... » — je n’ai qu’à copier l’en-
tête, mettre une nouvelle dédicace et la date, en bas.
La date et la dédicace, c’est le principal, en poésie. A la rigueur,
on pourrait se passer des vers... : une feuille blanche, la signature, 1* « à
Elle » — et quelle femme ne serait pas délicieusement émue en rece-
vant une enveloppe familière « de son poète », quelle est celle qui n’y
lirait pas les plus tendres vers d’amour?!... Oui, Thistoire du roi et des
tailleurs d’Andersen...
O vieux cœur humain, tu tisses, tu tisses, tu habilles des fantômes
840
BLÀISE CENDRARS
avec de l’ombre!... Mais c’est dans l’ordre des choses, ça; le monde est
ma représentation, — donc, je tisse, je tisse, j’habille des fantômes
avec de l’ombre, je pousse l’aiguille dans le vide et je tire un fil ima-
ginaire!...
Oh! là là... quel ennui! quelle migraine! J’ai mal, je ne sais pas
au juste où. Au fond, tout au fond de moi, j’ai trois points lancinants.
C’est comme si des glandes se mettaient lentement à tourner quelque
part et que j’en aie vaguement conscience. C’est toujours ainsi, après des
sensations trop violentes. Au fond de moi quelque chose s’éveille, un
mal, un malaise plutôt vague, indéterminé... une douleur fade. Je suis
en l’attente de quelque chose qui va se manifester, éclater — et qui
n’arrive toujours pas! Oh à la longue!... il me semble que trois coquil-
lages s’entr’ouvrent et que des choses molles, visqueuses, tâtent et palpent
autour d’elles ; du fond de mes viscères monte un dégoût, une espèce de
répulsion, d’ennui physique. C’est ça, mon mal et encore autre chose,
car si je parvenais à le contraindre dans des mots, je le cracherais par
la bouche et je serais guéri! — Oh, quelle migraine!...
Voyons, où en étais-je? A Olympie? — Non, à Rosabelle; non,
à « Elle » — ha, ha, ha!
Non, à Ursule, à Agnès, à Marguerite. — O vous toutes que
j’ai rencontrées sur ma route!
Tournez, tournez, bon* chevaux de bois,
Tournez cent tours, tournez mille tours...
Ah ! en ai-je de ces coins de manège dans le cœur ! quelle puanteur
de friture et quels endimanchés jours de fête!
Tournez, tournez, bon* chevaux de bois,
Tournez cent tours, tournez mille tours...
Où? quand donc? — Depuis longtemps! — depuis toujours. Il est
mangé le pain d’épices!
MOGANNI NAMEH
341
Eh quoi — tu n’as donc point de doute? Toujours, toujours la
même romance sur l’orgie de ton ennui?! — Et parce que la machine se
détraque, tu sautes parfois des notes, est-ce tout, c’est bien là toute ta
vie?
Oh, je voudrais pleurer!... hé, hé, et Rosabelle? Oui, oui,... ça
sera la même chose, je jouerai toute la gamme!
Mon Dieu, ma vie n’est qu’un monotone soliloque!
— Non! je n’ai pas honte. Je ne fais que chercher mon « moi ».
Oh! qu’il est fatigant cet éternel « moi »! Tout n’est que haine.
L’idéalisme c’est la folie des grandeurs :
Moi = Néant.
Ah, zut, je cours chez Rosabelle... m’anéantir!...
— Halte-là! garçon! de l’alcool, pour bien me dégriser!
— J’aime les liqueurs, pour tout ce qu’on y trouve de vie en leurs
correspondances. Oh! ce trouble exquis du cerveau, des cinq sens fon-
dus en un, suprême, nouveau, de joie et de douleur, hélas! comme les
autres, mais plus raffiné, plus âpre, déliquescent.
— Je ne suis ni heureux, ni malheureux : j’éprouve toutes les fail-
lances humaines. Je ne veux pas du malheur et je rougirais du bonheur.
Mon cerveau me permet certains accords et voilà tout. Mais le trémolo
continu de mon âme me raconte toute les possibilités d’outrance. Je ne
suis capable, en fait de souffrance, que d’une très grande fatigue, cruelle
et agréable, comparable à l’ivresse tempérée et voulue, des après-midi
de songes. Et, en fait de joie, je ne suis capable que d’une très grande
fatigue aussi, mais moins calme, plus passionnée, emphatique presque.
Je porte le faix d’un imperceptible sourire. J’aspire à un état un peu
plus calme, où ce sourire me revêtirait comme d’un manteau flottant,
ample, autour de membres sains et nus.
En attendant je fais le c... Dieu et Diable sont mes jouets favoris. A
342
BLAISE CENDRARS
l’un j’offre mon cœur sanglant rempli de rêves d’amour, éternels, illimités
et aussi somptueux que ma folle fantaisie ; à l’autre, ma chair humide trop
mûre des moiteurs languissantes, des désirs précis et chauds, et aussi con-
centrés que ma volonté toute-puissante. Je m’amuse aux ébats et aux
disputes de ce petit dieu et de ce petit diable qui se pendent à mes trousses,
tâchent d’attraper l’un mon cœur, l’autre mon sexe et je ris de leurs
culbutes. Je suis le Poète : j’ai donné et cœur et sexe à la Femme. Insou-
ciant je m’enivre d’illusions et de beauté : de mots, de lignes, de sons,
de lumièrese et de parfums. Je rêve. Je ne suis ni bon, ni méchant, ni naïf,
ni perverti : je souris : et c’est une ride de plus à îa face du Néant, car
je suis le Néant : l’Homme : le Néant primordial qui planait sur les
eaux, qui fit le Verbe, la Gloire, l’Immortalité. »
Ne pouvant retrouver son équilibre, il sortit.
Il marchait avec peine.
Des bandes d’ouvriers le croisaient. Des êtres enguenillés, emballés
de la houppelande en peau de mouton et crasseux; des visages comme
équarris à coups de hache, des faces taillées à même le chêne où pen-
dait, comme des lambeaux d’écorce, la barbe; des brutes, la bête des
bois; la plupart petits, trapus, noueux, mauvais, avec, dans leur figure
plissée, des yeux bleus pointillés de rouge, des yeux observateurs, rusés,
malins, avares. Ils passaient par groupes, pataugeaient dans la boue de
la chaussée, les pieds entortillés de paille et entraient, par enfilades, se
bousculant, chez les traiteurs aux affiches violemment bariolées de rouge
et de bleu autour des théières or.
Il pleuvait toujours. Dans l’air circulait une moiteur imprévue; on
sentait que le printemps allait s’installer. La glace se craquelait; au bout
des branches pendaient comme des tampons humides de ouate; la neige
noire était spongieuse.
Il huma ce renouveau qui avait un relent sourd d’hôpital.
MOGANNI N AME H
343
Alors il songea, apitoyé, que, quelque part, là-bas, derrière ces hautes
maisons, un soleil d’aube se levait larmoyant sur des champs inondés
d’eau et de lumière, en pleine campagne, et que les corbeaux quittaient
le voisinage des bourgs, regagnaient, innombrables, coassant, les bois
humides...
Goethe dit : « Mikroskope und Fernrohre verwirren eigentlich den
reinen Menschensinn. »
Biaise Cendrars.
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CHRONIQ
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PROPOS A PROPOS DE IGOR STRAWINSKY
347
PROPOS A PROPOS DE
IGOR STRAWINSKY
Le progrès a toujours vu se dresser contre lui de
violents adversaires, lesquels, constate-t-on, ne brillent
pas nécessairement par le " flair ' non plus que par
un banal bon sens. Oui.
Ces adversaires défendent — sans ^rand succès,
du reste — de vieilles habitudes dont 1 estimation, à
leurs yeux, ne se peut établir. Ils veulent nous pré-
senter leurs vieux pantalons, leurs vieilles casquettes
et leurs vieux souliers comme des objets d'un prix
inestimable, tant par la valeur d’iceux que par leur
beauté propre — un peu intra-muros, disent-ils pour
renforcer le terme.
348
ERIK SATIE
»
« »
Pour eux, un objet est beau, solide et imperméa-
ble par le simple fait qu'il est hors d'usage et forte-
ment rapiécé — (et surtout parce qu'il leur appartient,
ajouté-je, non sans une hypocrisie basse et perfide ).
Ce n'est pas si bête, bien que cela ne soit pas très
malin, ni très original; et c'est pourquoi nous voyons
un si grand nombre de vieilles locomotives, de vieux
wagons, de vieux parapluies, etc.... encombrer les voies
publiques, régionales et cérébrales — et souvent uri-
naires.
*
* a
En tout cas, ces défenseurs de l’Ordre, de la
JMorale, des Convenances, de l'Honneur (de les saluer),
de la Natation, du Droit, du Travers, de la Justice
et des Coutumes Préhistoriques sont doués d'une poli-
tesse et d'une courtoisie d'hommes supérieurs, sûrs
d'eux, tout confits de raison. Jamais un mot plus haut
3ue l'autre, vis-à-vis de leurs adversaires.... Jamais....
e me plais à le reconnaître — même devant notaire.
»
» -s
Par contre, le Progrès, lui, est défendu par des
partisans d'une tout autre espèce — gens effrontés
comme des pages, au “ culot" formidable, renaissant
et insolent. Ces gens, oubliant le respect dû aux ho-
norables Vieux Pères Tranquilles et autres sommités,
PROPOS A PROPOS DE IGOR STRAWINSKY
349
vont leur petit bonhomme (grossier) de chemin —
comme si rien n’en était — et continuent froidement à
marcher sur les pieds du pauvre monde, sans souci
du ** qu’en dira-t-on” ni des yeux de perdrix crevés
sous leurs pas.
Oui: mais ce n’est pas ainsi que l’on agit, quand
on est bien élevé. Aussi, je crains (de cheval) que cela
ne leur porte malheur — dans deux ou trois cents ans,
au moins.
o
« *
Igor Strawinsky — pour nous autres vilains per-
turbateurs — est un des génies les plus remarquables
qui aient jamais existé en Musique. La lucidité de son
esprit nous a libérés ; sa force combative nous a oc-
troyé des droits que nous ne pouvons plus perdre.
Cela est indiscutable.
Plus incisif que celui de Debussy, son pouvoir de
pénétration ne peut s’émousser: la trempe en est trop
bonne. Il y a en Strawinsky une telle variété de
moyens, un tel sens de l’invention que l’on en reste
émerveillé.
Dernièrement, Æavra a jeté une confusion bien
instructive dans le monde musical. Nous avons pu lire
quelques remontrances des M.M. Critiques, remon-
trances toutes plus comiques les unes que les autres.
Parce qu’ils n’y ont rien compris, il a été plus facile à
ces M.M. de “débiner le truc” — si j’ose m’exprimer
avec cette trivialité. Sous peu, ils comprendront — trop,
même — soyez en persuadés ; et ils nous révéleront
Æavra, nous en désignant tous les mérites — agri-
350
ERIK SATIE
coles et civils
‘"frousse ".
— et se les attribueront, sans la moindre
#
* *
Mais je veux vous parler d'autres œuvres, moins
connues : des travaux “ mécaniques ’’ récents de Stra-
winsky — expériences sur la technique des instruments
enregistreurs. Ici, le grand musicien russe se montre un
esprit véritablement libre, réellement indépendant.
Qu'il me soit permis de féliciter Jean Wiéner d’a-
voir, le premier, donné une place sur un programme à
une “interprétation mécanique". Malheureusement, les
rouleaux présentés n'étaient pas au point, ce qui encou-
ragea les “opposants" dans leur opposition et leur
ermit d'avoir un peu raison — bien qu'ayant tout à
ait tort, les pauvres.
g
*
« •
L'audition d'un instrument automate révulse les
coutumes, indigne les usages ; et une réalisation sonore
aussi neuve ofîre des difficultés de toutes Sortes —
(celles matérielles sont les plus clémentes, les plus sou-
riantes). Combien est-il aride de remonter des cou-
rants créés au nom de prétendues traditions, et dont
l’unique agrément est la vétusté. Oui.
«
* *
Il y a lieu d'être surpris lorsque nous entendons
des virtuoses de talent nous dire qu'ils jugent les ins-
truments enregistreurs comme de possibles concurrents.
PROPOS A PROPOS DE IGOR STRÀWINSKY 351
C’est, il me semble, se faire injure à soi-même que de
concevoir une telle pensée, que d’avoir une telle
crainte.
Avant tout, le pianola est un autre instrument que
son camarade le piano, dont il n’a que de fraternelles
attaches. Igor Strawinsky, avant tout autre, a réelle-
ment écrit un morceau où certaines ressources propres
à cet instrument se trouvent employées. Que les vir-
tuoses du clavier sachent bien que jamais ils ne pour-
ront faire ce que fait un ordinaire pianola ; mais que,
par contre, jamais un moyen mécanique ne pourra
leur être substitué.
Là dessus, qu’ils dorment sur leurs deux oreilles,
si cela peut leur être agréable.
«
« »
Par ces travaux, Strawinsky apporte à la Musi-
que un élément nouveau d une richesse énorme. Nous
pouvons à peine prévoir les bienfaits que nous répan-
dront les recherches de mon illustre ami. Je lui garde
toute ma confiance et lui assure une définitive admi-
ration.
La différence de technique existant entre le piano-
la et le piano fait moins songer à celle qui sépare la
Photographie du Dessin, qu’au mode de reproduction
rencontré dans la lithographie par comparaison au
trait direct ; car, en somme, le lithographe joue du
pianola , alors que le dessinateur, lui, joue du piano.
»
* «
Il est nécessaire que les musiciens s’intéressent à
ce nouveau procédé de production phonique. Sans nul
352
ERIK SATIE
doute, l'enregistrement mécanique est une garantie ; et
il développera plus rapidement, et plus sûrement l'é-
criture musicale que ne pourraient le faire tous les
"pions" réunis — ou non.
Moi, je sais que Strawinsky est un magicien
dont les tours n'ont rien à voir avec celles de la
feue Bastille.
Erik SATIE.
CRITIQUE GÉNÉRALE
353
feuilles libres
CRITIQUE GÉNÉRALE
POLITIQUE ET POÉSIE
A propos d’une enquête
La Revue hebdomadaire a récemment ouvert une enquête sur la
jeune littérature et a posé à quelques écrivains ‘‘ choisis ", spécialement
choisis, deux questions que je résume : Quels ont été vos maîtres ?
Croyez-vous à la renaissance du genre traditionnel ? (J'ai été interrogé,
il est vrai, mais comme repoussoir sans doute). Par un hasard extraordi-
naire, tous ces “jeunes" écrivains ont chanté les louanges de Bourget,
Maurras, Barrés, Maurras, Bourget, Barrés...
Tous les critiques de la « droite » se gargarisaient à qui mieux
mieux : Barrés, Bourget, Maurras. Henri Massis en profita pour
parler de poésie. Dans un article de la Revue universelle (Tome XI N° 14
du i5 octobre 1922), après avoir couvert de fleurs l’ardent néophyte
Benjamin Crémieux, il s’attaque au mouvement Dada :
854
PHILIPPE SOUPAULT
« Adieu alors la littérature dans le sens restreint. Dada n'est donc
pas une “ esthétique ” nouvelle; il n'a eu, au reste, pour le défendre,
que les survivants du symbolisme ou de l'esthétique. Aussi n'est-ce
pas là qu'il faut voir un signe, même confus, même outrancier, d'un
renouveau littéraire futur; une telle entreprise est aussi surannée et
éloignée de l’art sain que réclame notre temps que les imitations où
tant de jeunes littérateurs s’obstinent, croyant qu’il suffit, pour les
rajeunir, d’emprunter quelques traits singuliers à un Giraudoux, un
Proust, un Apollinaire, par exemple. En s'écartant de la vie et du réel
en ne cherchant le renouvellement — dont ils sentent le besoin — que
dans les bizarreries de forme, ils n'aboutissent qu’à de pénibles compli-
cations aussi ennuyeuses que la platitude. Au vrai la plupart des
œuvres qui nous sont proposées par des écrivains encore jeunes ont
l’air d'être la fin, la "queue” de quelque chose: nous assistons au
crépuscule des disciples. »
Monsieur Henri Massis me mettait fort aimablement en cause.
Je lui adressai la lettre suivante :
Monsieur,
Je tiens à vous remercier d’avoir bien voulu, dans la Reoue Universelle du i5 octobre, me
dédier une phrase de Renan. Est-ce un piège que vous nous tendez, est-ce une boutade?
Cette “ entreprise ” dadaïste, comme vous semblez le croire, n’est pas aussi surannée et
éloignée de l’art sain que “ réclame notre temps”.
Nous verrons bien d'ailleurs. Nous avons proposé un problème et personne ne veut l’exa-
miner, parce qu’il faudrait y apporter une solution. Mais vous devez reconnaître avec moi que
la poésie néo-néo classique, elle aussi n’aboutit qu’à de “pénibles complications aussi ennuyeuses
que la platitude ”. La poésie est en jeu. D’elle jaillira peut-être “ce renouveau” que vous
souhaitez. Ce qui m’étonne, c’est que vous ne vouliez pas voir la poésie. S’il est évidemmen
“ plus commode d’aller lege éolutus. ” il est encore plus simple de déclarer “ Politique d’abord ”.
A mon tour je me permets de vous dédier cette phrase de Renan. Monsieur Jules Huret
lui aussi, poursuivant jadis une enquête sur l’évolution littéraire raconte : “ Il me fallait bien
pourtant prononcer pour la dernière fois les mots fondamentaux de cette enquête et je réussis
à dire dans un dernier effort : symbolistes (c’est-à-dire pour Monsieur Huret : Moréas,
messieurs Charles Maurras, Henri de Régnier etc....) Psychologues (c’est-à-dire Jules Lemaitre,
Monsieur Barrés). Naturalistes (c’est-à-dire Monsieur Léon Daudet).
A quoi Monsieur Renan répondit :
— “ Ce sont des enfants qui se sucent le pouce.
CRITIQUE GÉNÉRALE
355
Excusez, Monsieur, cette lettre. Je voulais vous remercier d’une leçon et vous rappeler que
Renan ne sait pas toujours justifier les entreprises de nos amis.
Philippe SOUPAULT.
Je m’explique. De ce qu'on ne saisit l’utilité immédiate d'un acte
(d'un “ mouvement ”), il n'empêche que, du momeut qu'il a nécessité,
pour sa production, les qualités les plus viriles, par exemple le mépris,
il est beau, utile. Eclairons ce débat, élargissons-le. S'agit-il de poésie,
oui ou non ? Qu’on laisse alors la politique (et en même temps la religion)
de côté.
Les feuiLleà libres, qui aiment la poésie et les poètes qu'on appelle
je ne sais pourquoi, d’avant-garde, publient donc des œuvres qui,
“ proposées ” par des écrivains encore jeunes ont l’air, selon M. Massis,
d'être la fin, la queue de quelque chose parce que la direction repousse
les avances de la droite.
Eh bien 1 non, je proteste ; je me moque, puisque je suis encore
jeune, “ d'être la fin, la queue de quelque chose ”, mais qu'on ne nous
embête pas avec la politique. Je peux crier “ Vive le roi ” si cela me
fait plaisir, mais je n'en serai pas meilleur ou pire poète.
Je dois ajouter, d’ailleurs, que ce parti-pris est celui des royalistes
et des communistes, des catholiques ou des libres-penseurs.
Les œuvres qui “ servent” (Barrés scripsit) risquent fort de nous
ennuyer. A propos de Dada...
“ De cette désaffection, de cette révision des valeurs qui, l’incul-
ture aidant, a pris l’allure d'une entreprise de démolitions le mouve-
ment dadaïste paraît être la manifestation brutale. Mais encore qu’il
prétende rejeter toute tradition, un tel mouvement est beaucoup plus
“traditionaliste’’ qu'il n'en a l’air : il est l’aboutissement logique, réa-
lisé formellement dans le langage, de l’anarchie intellectuelle et esthé-
tique qui a, elle aussi, sa tradition. Et je dédie à M. Ph. Soupault ce
texte de Renan qui justifie les entreprises de ses amis.- ” La phrase
régulière, dit-il, est-elle la vraie forme de la pensée ou n’est-elle pas un
moule gênant qui est imposé, et ne serait-il pas plus commode d'aller
lege M lu tus ?...
Ce qu'il faudrait dire une bonne fois, c’est qu'on nous laisse tran-
m
m
mm
356
PHILIPPE SOUPAULT
quilles avec toutes ces intrigues de trône, d'église, de soviet, de loge
ou de chapelle. Les cuisiniers, qu'ils s'appellent José Vincent ou Georges
Chennevière, Maurice Pujo ou Picabia, n'ont qu’à rester devant leur
fourneau. Qu’ils ne nous asphyxient pas I Fermons la porte.
Philippe SOUPAULT.
LA POÉSIE
3&1
mmm
POÉSIE
NOTRE MÈRE LA VILLE, — par Odilon Jean Périer, — aux
éditions du Disque Vert à Bruxelles.
Certaine poésie plus fraîche et plus fragile, plus transparente,
plus simple, est, nous semble-t-il comme la rosée de la poésie.
Recueil que font éditer les jeunes hommes de vingt ans, promesses
claires en allées au vent du matin.
... Nos anges gardiens qui étaient ses petites filles
S’assirent devant les parcs publics...
Les mots que Monsieur Odilon Jean Périer épingle, en petit
nombre sur de larges pages blanches, ont conservé, tous, un peu de
bleu du ciel.
Ne pas croire néanmoins que l'âme du poète soit la rose églantine,
simple, — mais double, triple, ingénieuse, singulièrement complexe et
trop peut-être.
Je fis ce masque pour nos frères
Avec de l’or que j’avais volé
(Dieu des chanteurs, ami sévère)
A ma vieille sincérité.
Cela est un art poétique. Ciselures. Les poèmes doivent-ils être,
seulement, d'aimables ou curieuses mécaniques ? Vers de circonstance?
Le grand tort de Monsieur Odilon Jean Périer qui aime à n'en
point douter, les plus tendres vers de notre ami André Salmon, est bien
d’écrire, comme plusieurs autres benjamins dont il ne se distingue pas,
une littérature trop jolie.
Bonbons de couleur désormais sans surprises.
MARCEL SAUVAGE
358
DICTIONNAIRE AJOUTEZ UN ADJECTIF EN IQUE,
par Henri Nandeputtc, ■— à la Société littéraire de France.
Æ aimez-voué ? demande l'auteur à la dernière page de son livre.
J’aime fort ce que vient de publier Monsieur Henri Vandeputte, point
du tout son titre.
En somme, des mémoires parlés, dissertations ou confidences à
propos de mots, à propos de bottes : ce n'en est que plus charmant;
c'est alors qu’apparaît et brille l'imagination du poète.
Jeux de mots et calembours.
Napoléon. — L'aigle de tous les maux.
Lieux Communs qui ne sont pas toujours, (comme le réclame Jean
Cocteau dans Le Secret profeoéionnel), soigneusement astiqués ni mis à
leur juste place.
Sauf K, trop allemand sans doute; Q, mal sonnant; X, anonyme,
Y, pour raison politique, et Z, trop lointain, toutes les lettres initiales
sont représentées dans le dictionnaire de Monsieur Vandeputte.
Pourquoi dictionnaire?
Parce que, dit l’auteur, après Rivarol, « les idées mendient l'expression »
et il cherche les épithètes percutantes.
Ironie, piment moderne, humour qui nous vient d'Angleterre avec
les pickles.... « ose dire un mot (qui ne soit pas une blague) pour me
donner une raison infinie de continuer à exister. »
Pessimisme : « Nous, Seigneur, soyez indulgent, nous avons pris
l’habitude d’être spirituels pour plaire, pour nous défendre, ou simple-
ment pour aiguiser l’esprit dont nous faisions des articles payés, des
lettres décisives... »
Que nous restera-t-il dans la mémoire après ces énumérations
pittoresques, qui sont trop Whitman, trop aussi « notes sur l'oreiller »
de la poétesse Sei Shônagon qui vivait au Japon & l’époque de Héian,
toutes ces énumérations qui ne sont à vrai dire que des noisettes creuses.
Ceci, Monsieur Henri Vandeputte de qui le portrait est sous le
mot « Miroir » à la page 90 du livre a beaucoup et de très belles
relations. Il a des lettres et du monde. C'est un causeur pétillant qui
«MMmM
LA POÉSIE
359
n'oublie point ce qu'il a dit une fois. Il adore les femmes, la peau des
femmes, la peau d'un joli gris à peine rosé, la blancheur de lait avec
l'attrait d'une petite sueur qui brille, la pâleur des brunes... «Le corps
de la femme, c'est encore le moule le plus parfait que l'on ait trouvé
pour y conserver la beauté. »
Chaque lettre, chaque mot est une patère où Monsieur Henri
Vandeputte accroche de vieux souvenirs et ses regrets nouveaux; quel-
quefois ce sont des poèmes en prose.
Marcel SAUVAGE.
SIGNES DES TEMPS, par Æaurice Æartin du Gard (Emile-Paul
édit.)
Martin du Gard, est-ce après le gant de crin, sur les marches de
la Bourse que vous écrivez vos poèmes? Je le croirais sans peine.
Ils ont le goût, la couleur de l'ambiance et cette poésie du “moment"
qui n’est pas faite avec de la ressemblance, mais avec ce sens de l’actuel
qui vous sert si bien.
Des orchestres se racontent...
Les secrets du corps humain,
Et ce soir toutes se sont prises
Les pieds et l’âme dans leurs perles.
Vous y êtes grave aussi : le cours de la livre, les négligences de
nos ministres vous préoccupent. Pas trop toutefois. Vous conservez
votre ironie, comme, dans une foule, on se hausse sur la pointe des
pieds pour mieux voir.
O siècle, mauvais fonctionnaire,
Les ajrant droits des rêves morts
A tes guichets fermés s’endorment.
Tirons toujours des traites sur nos dieux.
Lorsque je vous rencontre d'un doigt mystérieux, vous me confiez
une bagatelle, mais la catastrophe vous la commentez avec un sourire.
Vos poèmes ont cette même désinvolture. Ils oscillent de droite à
gauche, la jaquette s'y troque contre le chandail, sans que leur équi-
libre en soit jamais atteint.
Marcel RA VAL.
LES ARTS
861
LES ARTS
LE SALON D'AUTOMNE
Jadis l'époque du Salon d’Automne était l’une des plus vivantes
de Tannée. Les temps ont bien changé, comme on dit, et aujourd'hui le
Salon d'Automne est le frère cadet du Salon des Artistes français.
Bientôt d’ailleurs, cessant toute hypocrisie, nous l'espérons du moins,
nous verrons le premier et le second Salon des Artistes français, celui-
ci remplaçant l’exposition qui se tient en novembre au Grand-Palais.
Quand on pénètre dans l'exposition par la porte de l'avenue, on se
trouve juste en face d’un édifice surmonté du drapeau tricolore, et on
se croit aussitôt devant un monument aux morts. Un rapide examen
nous apprend qu'il s'agit d'un bâtiment destiné à T Aéro-club de France.
Cependant si vous vous êtes trompé une fois, lorsque vous visitez
les salles du rez-de-chaussée, il n'y a plus de doute possible : Le Salon
d'Automne est devenu une exposition de monuments aux morts (Salon
d'Automne spécialités de marbres funéraires...) et d’ameublement (joli
ménage !
On voit là des meubles de toutes sortes qui semblent inutilisables.
On imagine des gens ayant un vaste appartement dont toutes les
pièces, sauf une, sont meublées suivant le goût du jour, et tous les meu-
bles sont vides. L’autre pièce est garnie de placards, du plancher jus-
qu’au plafond, et contient à elle seule tout ce qu’auraient dû renfermer
ces meubles. Modernisme, modernisme, sottise, sottise et le reste...
Ah 1 voici la peinture... Des gens s'extasient devant un paysage
consciencieusement léché :
— On dirait que les moutons vont bêler! s’exclament-ils.
C’est vous les moutons, et c’est vous qui bêlez! J’ai connu un peintre,
qui pour faire des paysages, se servait de cartes postales qu’il divisait
en petits carrés. Il divisait sa toile en carrés dix fois plus grands,
reproduisait ainsi sa carte postale, et le tour était joué !... Eh bien, tous
ces peintres en font autant.
m
362 BENJAMIN PÉRET
Voici des jeunes ou des vieux qui découvrent le cubisme. (Il était
temps) Des personnages à. la tête en forme de pain de savon, les pieds
triangulaires.
Parmi toutes ces prétentions, le “m'as-tu-vu", quelques person-
nages se détachent. Ils n'ont pas voulu faire comme tout le monde.
M. Yaoyama expose un tableau, qui heureusement ne rallie pas tous
les suffrages du public : quelques personnages assis dans une grande
pièce complètement nue regardent, les yeux fixés. Il n'en faut pas plus
pour que les visiteurs se massent devant cette toile et cherchent à
comprendre ce qu'ils voient. Mais c’est vous qu'ils aperçoivent, braves
gens, et ils n'en reviennent pas de vous trouver un visage aussi stupide !
Quant à la sculpture, elle ne comprend que des monuments aux
morts, des sculptures cubistes et des imitations des nègres : donc
manque absolu de nouveau, absence de révélation.
Salon d’Automne 1022 : —
* 20
Benjamin PÉRET.
Appartient a M. Zborowgky.
T*'iïyfiiî’îrvrr'gliti W
SPECTACLES
363
SPECTACLES
MARCEL HERRAND
Marcel Herrand joue Candida, de Bernard Shaw.
Des bras qui n'en finissent pas, des yeux droits et des sourcils,
des sourcils. Je le vois s'avancer, dressé ; sur les lèvres quelques
mots qu'il va prononcer et recueillir dans ses mains.
Marcel Herrand a su comprendre et dire les poèmes de mes amis
(et les miens), osé porter sur la scène la pureté qu'il aimait dans
cette poésie. Il a pu être audacieux à force de simplicité, de netteté.
Pas de gestes inutiles, pas de tremblements de voix involontaires qui
“font bien" mais qui sont idiots. Il n'a pas hésité à paraître sec et
froid pour être lui. Il sait qu'il est au théâtre et qu'on le regarde, qu'on
le voit. Sril rit ou s’il pleure, on ne le voit pas, on le sent.
Je vais parfois assister à l'une de ces pièces invraisemblables pour
comparer le jeu d’Herrand à celui de ses camarades.
Les uns s’agitent, sautent et hurlent, les autres se mouchent.
Lui a la chance d’avoir vingt-cinq ans et de rire de toutes ses dents,
d’être sombre de tous ses yeux, ou de tous ses cheveux.
Asseyons-nous un instant dans un de ses inconfortables fauteuils
et regardons-le ; essayons de nous moquer de lui comme nous nous
moquons des autres acteurs. Il paraît raide comme un soldat de plomb,
indifférent comme un ballon. Il parle et sa voix âpre emplit cette salle
où nous sommes. Elle sonne comme une cloche. Ses gestes coupent, ses
grimaces sont acides, Herrand doit avoir horreur du flou.
364
PHILIPPE SOUPAULT
Nous voulions nous moquer de lui et je pense que c’est lui main-
tenant qui pourrait se moquer de nous.
Cet acteur étonnant n’a aucune des qualités ridicules des autres
acteurs. Il "n'empoigne” jamais un public et ne joue pas "naturel”.
Remercions-le, il joue, il sait jouer. Tous les acteurs ont une manière
dont il ne change pas, dont ils ne changeront jamais. Il y a l’homme
aux cravates, l'homme vulgaire et énergique, l'homme mièvre, l'homme
triste mais il n’y a pas d'homme Protée, d’homme acteur sauf peut-
être Max Dearly qui n’a pas de type, mais trop de tics. D’autres
acteurs ont des spécialités, des créations qui les suivent comme des
ombres. Ils me font penser à cette si étonnante dame, épouse d’un
grand journaliste-ministre. Elle était peu instruite et sa manière de par-
ler le prouvait. Il faut ajouter qu'elle s’en rendait compte et s’en
excusait. Elle s’en consolait aussi en racontant : " J’ai une jolie phrase.
Mes enfants le savent bien. Très souvent, chère dame, ils me disent :
" Maman dis-nous ta jolie phrase.” Moi, pour leur faire plaisir, je leur
répète : " La bicyclette est la seule chose que j’ai vu faire, sans avoir
envie de la faire ”.
Pour une phrase, il y a pas à dire, c’est une jolie phrase. Mes-
sieurs Le Bargy, Guitry ou Laparcerie ont aussi leur jolie phrase.
Mais laissons-les. Ils sont d’un autre âge. Les malheureux ont été
si souvent enfermés dans le placard des adultères pour dévorer des
" tranches de vie” qu'ils n’ont pu regarder autour d'eux.
Marcel Herrand est jusqu’à présent le seul acteur qui pourrait
jouer les pièces de théâtre qui nous amusent encore, le Baladin du
Æonde Occidental, IJbu-Roi et Y Ours et la lune.
Aujourd’hui on accepte enfin de le laisser jouer Candida de
Bernard Shaw.
Philippe SOUPAULT.
SPECTACLES
365
WA Y DO WN EAST ( A travers l’orage) Drame cinégraphi que de
D. JD*. Griffith tiré De l'œuvre De Dottie Parker.
Uue légende rapporte, en Orient, qu'un philosophe pauvre écrivit,
à la clarté de la neige, un livre sur la destinée- Nous avons lu sur le
visage de Lilian Gish, aux lueurs de la neige, ce livre de la destinée.
C'est une histoire très simple, non peut être sans mélodrame mais,
en dépit des outrances, de plusieurs fautes de goût qui sont parfois la
marque d'outre-mer, une banalité profondément humaine. Histoire d'une
fille-mère pour qui un jeune fermier du Massachussets, Richard Barthel-
mess qui l'aime, fera des tours de force, au milieu des glaces de la
WRite River.
D. W. Griffith, premier du cinéma, collectionne les images plai-
santes, magnifiques ou douloureuses ; elles se collent irrémédiablement
contre nos cerveaux. Mieux, — ce que cherchent, encore vraiment, nos
auteurs cinégraphistes, — il a su trouver le rythme qui fait l’unité
poignante et nécessaire. Plus d'albums de photographies.
R37thmes du blanc et du noir, comme les jours après les nuits.
Nuages. Comme les années, les drames ont leurs saisons et les visages,
selon le rythme du sang, s'effeuillent et renaissent.
Musique pour les yeux. Nombre et danses.
D. W. Griffith a ce génie particulier qui n’aime point les foules,
les méconnaît et le fit bien voir dans Lev Deux Orphelines. Il presse les
masques, un à un, en tête à tête, pour en obtenir toutes les déforma-
tions, tous les signes, les joies avouées, les souffrances durement écrites
par les rides, ponctuées par des rictus. Sous toutes les lumières, dans
des paysages qui sont les agrandissements de ses héros. Le soleil, la
pluie, la tourmente le servent; la lumière et son chien fidèle. Tous les
procédés techniques lui sont bons indispensables; il en invente.
L’expression est nette, neuve, mais surtout : plus vraie que la
réalité.
Antithèses. Oppositions. Jeux: des arbres nus et de la neige. Une
tache minuscule, Lilian Gish, sur les glaces disloquées que happe la
chute. Etirement des nerfs. Trop long.
366
PIERRE DE MASSOT
Génie de la précision qui n’existe plus, qui n’existe pas encore en
France : il fallut, disent les prospectus, 1.000 mètres de pellicule pour
obtenir l'image d'un petit chat qui devait céder au sommeil en même
temps que quelques personnages...
Way Down East, 7“* art, iome Muse, enfin cinéma.
Marcel SAUVAGE.
MUSIC-HALL
MARCELLE PARISYS
Art nègre — connais pas.
PICASSO.
Lorsqu’on s’ennuie à Paris, il y a la gare Saint-Lazare ; les
guinguettes de Ville d'Avray ; le square de la Trinité, cher à Benja-
min Péret ; certaine maison rose au Tremblay sur Mauldre ; il y a
aussi les jambes de Mistinguett, la voix de Spinelly ; il y a tout de
même aussi Parisys î
Un nom quelquefois suffit à. embellir les affiches des boulevards;
le sortilège des lettres imprimées est un mystère qui ne préoccupe pas
les échansons du Fouquet’s et les chansons de ce poète que je ne
nommerai point, pour ne pas lui faire plaisir.
J’aime ce nom de Parisys, sans cesse dépouillé de son automobile
ou des colliers qui le parent, pour pénétrer jusqu'en province.
D’ailleurs, la Môme vogue avec cette bouche fraîche rose de
baisers, avec cette chair, avec ces éclats de gorge. Vous aimez les
berlingots, n'est ce pas ? ce goût ne me déplaît point et la découverte
des préférences. Surtout, n'avez-vous pas dans la Procession de Sé-
ville de Francis Picabia découvert vous-même tant de choses?...
Si je vous connaissais davantage pour ne pas mourir sans la cor-
respondance d’une Parisienne de Paris, car je vous imagine volontiers
BIBLIOGRAPHIE
867
avec un volumineux carton à chapeaux et quelqu'uns de ces sourires,
au fond des yeux, qui suscitent les nostalgies de paquebots en mal de
mer.
Les midinettes doivent vous chérir pour si bien vous coiffer.
Petite Parisys : le plus joli derrière de Paris dans un souvenir
de cheveux d'or !
PIERRE DE MASSOT
BIBLIOGRAPHIE
DOUZE CENT MILLE, par Luc Durtain (Edition de la N. R. F.)
Le rêve ou plutôt l'équation si souvent posée et si différemment
résolue, à sec, par jeu, quand on suppose la Fortune un instant pri-
sonnière, par hasard ou magie. 1.200.000 francs tombent aux mains
d'un ouvrier... M. Luc Durtain avec un sens aigu et sûr nous fait assis-
ter au vieux drame de l'argent qu'on s'imagine, certes, et qui apparaît
nouveau cependant en cette large coulée de vie évoquée et notée en
vigueur et netteté. Pourtant, un de ces derniers gestes de l'homme
trahi et ruiné surprend un peu. Abandonner à l'adversaire malhonnête
le dernier lambeau de fortune est bien héroïque. Or l’héroïsme, ai-je
entendu dire, n'a plus cours...
SILBERMANN, par Jacques de LacreteUe (Edition de la R. N. F.)
En un autre genre, on nous avait révélé le tourment d'enfants se
découvrant peu à peu, l'un un père frivole, l’autre une mère voluptueuse.
M. de Lacretelle avec une gravité simple qui imprègne tout son livre
de la déchirante cruauté des premières faillites, nous mène lentement au
dégoût d'une jeune âme devant l’injustice et la compromission soudain
maîtresses à son foyer même. Cela est dur, aigu et morne comme ces
larmes d'adolescent, pressées et contenues, vaines et profondes.
R-M. H.
368
BIBLIOGRAPHIE
COUBINE, par Maurice Raynal (Ed. Valori plastici, Rome, avec
32 photo ty pie s.
Dans cette étude, ce qui m'intéresse, c'est moins Coubine que
M. Raynal : Une forte culture; un jugement droit. Un style exempt
de recherches et de surprises, ces bruyants réveil-matin de l'attention.
Un exposé didactique où l'on ne trouve ni épithète laudative, ni allure
polémique, ni vue prophétique :
Tout n’est pas dit et l’on ne vient pas trop tard, en dépit de La Bruyère. Si l’on songe
que suivant les mathématiques il existe 479.001.600 manières de placer douze convives à une
table, pourquoi ne pas admettre que les éléments de la nature puissent être combinés à l’infini
suivant des groupements harmonieux. Il existe toujours une nouvelle manière de danser dans les
chaînes, et ce conformément aux prescriptions d’une serviabilité que l’évolution du monde
transforme tous les jours...
On voit par là quelles sont les raisons de l'optimisme de M. Raynal
et les motifs qui le font se pencher sur les plus simples comme sur les
plus brillantes fleurs qui éclosent aujourd'hui. — W. M.
Paul FORT,
son oeuvre, portrait et autographe
M“ de NOAILLES, —
par Georges Armand Masson
(Edit, du Carnet Critique)
M. Georges-Armand Masson est un littérateur de l'espèce la plus
rare : il lit. — Oui, bien qu'il écrive lui-même, et très dextrement, il ne
laisse pas de lire les œuvres de ses confrères, sans rechigner, et pense
devoir en rendre compte.
Voici une étude sur Paul Fort, une autre sur la Comtesse de
Noailles. Il en annonce une troisième sur Anatole France, une qua-
trième sur Bergson. Il va loin. A propos : comment M. G. - A. Masson,
qui donne de fort jolies chroniques mauves et tendres à un journal de
dames, peut-il les cultiver sur le terroir ingrat de la philosophie ? Mys-
tère du journalisme. Car M. G.- A. Masson est un vrai journaliste
chez qui le métier et la vocation se marient heureusement.
«... Malheureusement, Paul Fort a des admirateurs nombreux... »
( p. de l'étude sur P. Fort) . Pour le coup, M. G.- A. Masson va
trop loin: il se mêle d'être sincère. Tiens, que ce carnet, ouvert au ha-
sard à la page 25, me devient sympathique ! Lisons-le entièrement. —
W. M
AMÉNITÉS
369
AMÉNITÉS
Nous recevons de M. Conrad Kickert la lettre qu’on lira plus loin.
Nous la publions d'autant plus volontiers qu'elle est de celles qui ne
portent tort qu'à leur auteur. Notre collaborateur André Lhote repro-
chait à M. Kickert de desservir certains de ses camarades à l'étranger,
M. Kickert proteste. Nous nous voyons donc forcés de publier en même
temps que sa lettre un passage de l'article incriminé.
«-
* a
Fragment d’article de M. Conrad Kickert, paru dans le “De Atns-
lerdaninier "le 17 décembre 1921.
<< Monsieur Lhote — après Monsieur Ingres vient Monsieur Lhote — reste une curiosité
parmi les Parisiens : il est étonnant de voir un théoricien avoir un si grand nombre de disciples.
Il est tout sauf un peintre-né; c’est le type de l’instituteur. Comme professeur, si l'on en croit
ses élèves, il doit être excellent. Il est également extraordinaire de voir comment les théoriciens
parmi les peintres tournent avec le vent. Picasso renonce au cubisme intégral et revient à Ingres,
un Ingres aux modelés édulcorés. Lhote change de même....
.. Et de même les cubistes Léger, Gleizes sont à demi revenus du cubisme et par consé-
quent, quant au caractère, entièrement perdus.
... le Salon d’Automne affirme la décadence de la peinture d’avant la guerre. »
*
a »
Lettre de Monsieur Conrad Kickert :
Monsieur le Directeur,
Voulez-vous me permettre de répondre à l’article de Monsieur André Lhote, me visant.
A : Monsieur Lhote écrit qu’un “ on dit ” certifie que je possède une collection...ambulante
et renouvelable.
Je ne possède plus ma collection depuis deux ans parce que... j’en ai fait don au Musée
Municipal de la Haye !
“ Ambulante”, elle le fut en 1915 quand je l ai fait venir de Paris avec quantité d’autres
tableaux modernes — à mes frais, à mes risques et périls — en pleine guerre sous-marine —
pour organiser plusieurs expositions d’art français en Hollande — combattant ainsi la propa-
gande “ artistique ” (?) allemande. “ Renouvelable ” : je n’ai jamais vendu un seul tableau de
ma collection !
B; Monsieur Lhote affirme que je n’écris “pas toujours des articles désintéressés”
Médisance bien facile à réfuter, puisque — comme je l’ai dit plus haut — ma collection
ne m’appartient plus !
C : Je dis un “ peintre-commerçant ” ? Laissez-moi rire Monsieur Lhote, vous qui tous les
370
ANDRÉ LHOTE
—ïB
mois faites une exposition, vous, conférencier à l’étranger, auteur théoricien, pion d’académie
critique d’art, vous, qui vous êtes taillé une place non avec votre pinceau, mais avec votre plume !
D : “ bon petit camarade”, je n’ai en tout cas pas recours à votre mesquinerie de fausser
un prénom (en l’orthographiant à l’allemande “ Konrad ”) pour discréditer celui qui le porte.
E : J’ai attaqué Braque, Monsieur Lhote? Rejeté Ingres?
Où donc et quand? je m’en garderais bien! Mais je vous ai attaqué, vous et votre misère!
Quelle misère en effet de recourir à de tels moyens pour se défendre !
Je compte sur votre équité, Monsieur le Directeur, pour l’insertion de cette rectification et
je vous prie d’agréer l’expression de mes sentiments distingués.
Conrad KICKERT.
Octobre 1922.
Réponse de André Lhote à M. Conrad Kickert :
Monsieur,
Je n ai pas encore eu le temps de vérifier votre affirmation concernant le sort fait à votre
collection. Je sais seulement qu’en Hollande comme en France et ailleurs, les Musées n’acceptent
pas a titre de don définitif — mais bien à titre de prêt — les collections renfermant les œuvres
d’artistes vivants — surtout lorsqu’il se glisse dans ces collections, comme par hasard, des
tableaux du généreux donateur. Je sais aussi — et rien ne peut m’empêcher de l’apprendre à
mes lecteurs — qu’il est toléré, en Hollande, qu’un collectionneur retire du Musée où il l’a ins-
tallée, sa collection, afin de la vendre. Habituellement, les tableaux ainsi retirés sortent du
Musee ajrant décuplé de valeur. Il est, juste, d’ailleurs, que le collectionneur qui a courageu-
sement renoncé, durant deux ou trois ans, à ses satisfactions artistiques, voit ses sacrifices
recompenses pécuniairement. Je ne trouve rien à redire à cela, ni vous non plus, n’est-ce pas?
— La réputation que je me suis « taillée avec ma plume»? Bigre, si je dois en juger d’après
ses audaces, la vôtre, de plume, me paraît loin de pouvoir vous rendre les mêmes services. Si
vous tenez a vous lancer dans cette difficile carrière des lettres, apprenez, Monsieur, qu’il est
des mots dangereux, qu’un écrivain doit bien se garder d’accoupler.
Ceci dit, je me permettrai de vous faire remarquer que je ne publie mes notes que depuis
deux ans, et que cette « réputation » dont vous semblez si jaloux, je ne la dois qu’à ma pein-
ture, qui fut remarquée dès 1910, par Messieurs André Gide, Maurice Denis, Charles Morice,
Apollinaire, Marius Ary Leblond, et même Louis Vauxcelles ! Si j’écris, d’ailleurs, c’est beau*
coup par amour du danger. Je trouve en effet plus courageux de digner mes dires que de me livrer
a cette basse calomnie que tant de peintres hélas! pratiquent si lâchement à la terrasse des cafés
et dans les cabinets des collectionneurs.
— Eh oui, je suis conférencier à l’étranger, et je n’en suis pas peu fier. Cela me permet,
entre autres maladresses,de dire du bien de la peinture de mes camarades —même des mauvais
camarades ce qui ne signifie pas que j’en dise de vous. J’en suis d’ailleurs étrangement
recompense. Jugez plutôt : Un de ces peintres dont je me crus obligé de souligner publiquement
les mérités, vient de traduire... (?) une interview suédoise au cours de laquelle je parlais : i°
BIBLIOGRAPHIE
371
des tableaux du Louvre dont le nettoyage s’impose ; 2* (en réponse à une question précise)
de l’origine de cette « réputation » dont décidément on se montre bien curieux depuis quelque
temps. Or, sous la plume de cet étrange traducteur « la patine et la crasse des vieux vernis »
dont je parlais, deviennent « les ordures du Louvre » Tous mes propos, ainsi défigurés devien-
nent, malgré le ton de modestie dont ils sont empreints (surtout à côté du ton qu’emploie
habituellement le traducteur en question) de véritables discours de mégalomane — J’écris au
journaliste suédois afin d’obtenir de lui une attestation de « bonnes mœurs » que cette odieuse
campagne me force à me procurer. En attendant de pouvoir y puiser vous-même des leçons,
vous pourrez, cher Monsieur Conrad Kickert, aller déguster la traduction en question; le diffa-
mateur lui-même l’offre gratuitement à tout consommateur delà « Rotonde ». Si comme j’imagine,
vous manifestez un vif plaisir à la lire, il vous paiera l’apéritif par dessus le marché.
— Je fais une exposition tous les mois ? Cela vous ne le ferez croire à personne. J’en fais
une par an, de mes tableaux de l’année et de mes aquarelles de l’été — parce que, au contraire
de ce que disent vos amis, je n’ai pas de fortune personnelle, et que je vis de ma peinture,
comme vous essayez désespérément de le faire.
— Auteur théoricien? Comprends pas. Le Vinci disait: « La bonne pratique suit toujours
L bonne théorie ».
Pion d’Académie? Non, professeur, comme le furent Matisse, Guérin, Segonzac, et tané
d’autres; comme essaient de l’être certains de vos gentils amis et conseillers. J’ai même trouvt
un excellent moyen d’être un bon professeur — et c’est pourquoi mes élèves, comme vous l’avez
remarqué, m'aiment tellement. Figurez-vous que je me suis imaginé que j’avais beaucoup a
apprendre et que le meilleur moyen d’apprendre était d’étudier à côté de mes élèves. Il m’arrive
donc souvent de me trouver devant « la Nature » plus timide que mes voisins, ce qui n’est pas,
que je sache, le cas ni du pion, ni de l’instituteur.
— Critique d’art ? Pas du tout. Je donne de temps en temps, à la Nouvelle Revue
Française et aux feuilles libres, des articles, (que j’écris le soir au lieu d’aller au café débiner
mes voisins.) Je me trouve ainsi dans la véritable tradition classique. Il m’arrive souvent, pour
illustrer mes dires, de « citer des exemples ». Je les choisis parmi les œuvres des camarades
que j'admire le plus. — Car je n’écris jamais du mal d’un camarade; je trouve en effet, dans
la confession de mes admirations exactement le même plaisir que vous semblez puiser dans le
dénigrement. Affaire de caractère.
— << Ma misère? » Non, je vous remercie. Je l’ai connue jadis; j’essaie dans la mesure
de mes moyens, de la soulager chez autrui, lorsque autrui est un camarade moins fortuné que
moi. Car, vous savez, ça ne va pa6 trop mal, la peinture, malgré les petites campagnes sour-
noises de vos acolytes...
— Enfin, vous semblez tenir, cher Monsieur Conrad Kickert, immodérément à l’ortho-
graphe de votre prénom. Rien de plus légitime. Renonçant donc à ce K que vous jugez trop
décoratif, je ne demande pas mieux que de faire précéder la première syllabe de votre prénom
du C qui vous tient tant à cœur, beureux de vous restituer ainsi votre véritable identité.
André LIIOTE.
372
REVUE DES REVUES
REVUE DES REVUES
REVUES BELGES
A voir l'afflux des revues belges, on se prend à songer que
c’ecl du nord aujourd’hui que noue vient la lumière.
Précisément, voici les Écrite du Nord, venant après,.. Lumière. Le Thyree voyant la Bataille
littéraire se dit : Ca Ira. Mais on n’a garde d’oublier la Nervie qui entretient des intelligences
spéciales avec Paris, par M. Antoine Orliac.
Voici donc le dernier né : les Écrite du Nord, issu du mariage du Dieque vert (anciennement
Signauxj avec la Lanterne sourde (nov, 1922) : C.-F. Ramuz, « Salutation à la Savoie » ;
Biaise Cendrars, « Schrapnells, poème »; R-M. Hermant, «Amitié française?»; Franz Hellens,
« la Belgique, balcon de l’Europe ».
LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE, (ier nov.). Marcel Proust, « La regarder dormir ».
LES ECRITS NOUVEAUX, (nov.), Ramon Gomez de la Serna, * Disparates ».
LA REVUE DE FRANCE, (i5 nov.) M. Fernand Vandérem conseille à M. Victor
Margueritte, tout bien considéré, de biffer des prochaines éditions de son trop fameux roman
les passages scabreux ou révoltants. — Mais lira-t-on encore la Garçonne après ce nettoyage ?
SOMMAIRE du N° 28
Aventures d’un Français en Allemagne
Poèmes burlesques.................
Le Douanier Rousseau..............
Les Bonbons de l’Emir.............
Poèmes............................
Moganni Nameh (5).................
André Salmon
Max Jacob
Philippe Soupault
G. Ribemont-Dessaignes
Paul Fierens
Biaise Cendrars
Chronique d’Art par André lhote
Dix Dessins inédits de Creixams
(Collection Paul Guillaume)
En Hors-Texte : «Les Singes» par Henri Rousseau
feuilles libres
Critiqué Générale : « Manuels et Méthodes Littéraires». W. Mayr-
Littèrature : « A propos d’un Art Poétique », Marcel Raval.
« Le Cabinet Noir », Jacques Porel.
Poésie : * Charmes », par André Doderet.
Peinture: « Creixams », par Pascal Pla. — « Max Ernst », par Paul Eluard.
Music>Hall : « Mistinguett », Pierre de Massot.
Bibliographie.
Lt Directeur-Gérant • Marcel RAVAL
lmp. Keller, 88, rue Rochechouart.
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T A BONNE AVENTURE, par Marcel WUlard . . . 41r.5D MJ Du même auteur : Tour d’Horizon 15 fr.
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¥ ES PLÉIADES, par le comte de Gobineau. MJ Un volume in-16 sur vélin Laitima, tiré à 1.000 exem- plaires numérotés 30 lr.
] [JENSES-TU RÉUSSIR ? par Jean de Tinan [ Un volume in-16 sur vélin Lafuma, tiré à 1.000 exemp. . 25 fr.
J | ACOB COW LE PIRATE, ou si les mots sont des P signes, par Jean Paulhan 6 fr.
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] "■m — ■■ ' ' [^EUILLES DE TEMPÉRATURE, par Paul Morand 6 fr. l L’Édition originale tirée à 150 exemplaires sur Hollande 15 fr.
LAMPES A ARC, par Paul Morand 7 fr. 50
T ES CHAMPS MAGNÉTIQUES, par André Breton JLi et Philippe Soupault 6 fr. L’Edition originale tirée à 125 exemplaires sur Arches. . 15 fr.