NOUVELLE SÉRIE : N° 10
i" Mai 1923
DIRECTEUR :
ANDRÉ BRETON
-- . —- Rédaction : 42, rue Fontaine, PARIS (IXe) -
Administration : LIBRAIRIE GALLIMARD, 15, boulevard Raspail, PARIS
LITTÉRATURE paraît le 1er de chaque mois
SOMMAIRE
LETTRES DU COMTE DE
LAUTRÉAMONT
Paul Eluard :
Joseph Delteil :
Louis Aragon :
Jacques Baron :
Francis Picabia :
Benjamin Péret :
Robert Desnos :
André Breton :
AU CŒUR DE MON AMOUR
ÉCHECS
LE MANIFESTE EST-IL MORT ?
UNE DAME CHARMANTE
LE SIGNE DU ROI
PULCHÉRIE VEUT UNE AUTO
L’AUMONYME
PHILIPPE SOUPAULT
NOTES
HORS-TEXTE par PICASSO
PRIX DU NUMÉRO
France : 2 francs — Etranger : 2 fr. 50
ABONNEMENTS
Les 12 numéros : 20 francs pour la France et 25 francs pour l’Étranger
La Collection de la première série de LITTÉRATURE comprend 20 numéros dont plusieurs sont épuisés
et se vend 40 francs
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LETTRES DU COMTE
DE
A U T R E A M O N T
A savoir si la vie du comte de Lautréamont, Vinvertébré, le cérébral, a
jamais été en jeu. La passion du bien, poussée jusqu'à un certain point, peut
placer un homme plus haut que le sommet inaccessible de la vie, dans Z’inac-
cessible. Pour retrouver cet équilibre et cette sûreté qui ont fait des mots espoir
et désespoir de l'hébreu, Lautréamont n'a pas pu se résoudre à abandonner
celte étonnante logique sans contradiction possible qu'il nous montre avec
éclat dans sa correspondance.
P. E.
Paris, 23 octobre.
Laissez-moi d’abord vous expliquer ma situation. J’ai chanté
le mal, comme ont fait Misçkiéwickz, Byron, Milton, Southey, A. de
Musset, Baudelaire, etc. Naturellement, j’ai un peu exagéré le dia-
pason pour faire du nouveau dans le sens de cette littérature sublime
qui ne chante le désespoir que pour opprimer le lecteur, et lui faire
désirer le bien comme remède. Ainsi donc, c’est toujours le bien qu’on
chante en somme, seulement par une méthode plus philosophique et
moins naïve que l’ancienne école, dont Victor Hugo et quelques
autres sont les seuls représentants qui soient encore vivants. Vendez,
je ne vous en empêche pas : que faut-il que je fasse pour cela ? Faites
vos conditions. Ce que je voudrais, c’est que le service de la critique
soit fait aux principaux lundistes. Eux seuls jugeront en premier et
dernier ressort le commencement d’une publication qui ne verra sa
_ i _
fin évidemment que plus tard, lorsque j’aurai vu la mienne. Ainsi
donc, la morale de la fin n’est pas encore faite. Et cependant il y a
déjà une immense douleur à chaque page, Est-ce le mal, cela? Non,
certes. Je vous en serai reconnaissant parce que si la critique en
disait du bien, je pourrais dans les éditions suivantes retrancher
quelques pièces trop puissantes. Ainsi donc, ce que je désire avant
tout, c’est être jugé par la critique, et, une fois connu, ça ira tout
seul. T. A. Y.
M. I. Ducasse, rue du Faubourg-Montmartre, n° 32.
I. Ducasse.
★
Paris, 27 octobre.
J’ai parlé à Lacroix conformément à vos instructions. Il vous
écrira nécessairement. Elles sont acceptées, vos propositions : le Que
je vous fasse vendeur pour moi, le Quarante pour % et le 13e ex.
Puisque les circonstances ont rendu l’ouvrage digne jusqu’à un
certain point de figurer avantageusement dans votre catalogue, je
crois qu’il peut se vendre un peu plus cher, je n’y vois pas d’incon-
vénient. Au reste, de ce côté-là, les esprits seront mieux préparés
qu’en France pour savourer cette poésie de révolte. Ernest Naville
(correspondant de l’Institut de France) a fait, l’année dernière, en
citant les philosophes et les poètes maudits, des conférences sur
Le Problème du mal, à Genève et à Lausanne, qui ont dû marquer leur
trace dans les esprits par un courant insensible qui va de plus en plus
s’élargissant. Il les a ensuite réunies en un volume. Je lui enverrai
Un exemplaire. Dans les éditions suivantes, il pourra parler de moi,
car je prends avec plus de vigueur que mes prédécesseurs cette thèse
étrange, et son livre, qui a paru à Paris, chez Cherbuliez le libraire,
correspondant de la Suisse Romande et de la Belgique, et à Genève,
dans la même librairie, me fera connaître indirectement en France.
C’est une affaire de temps. Quand vous m’enverrez les exemplaires,
vous m’en ferez parvenir 20, ils suffiront. T. A. V.
I. Ducasse.
★
+ *
— 2
Monsieur
Paris, 21 février 1870.
Auriez-vous la bonté de m’envoyer Le supplément aux poésies de
Baudelaire. Je vous envoie ci-inclus 2fr., le prix, en timbres de la
poste. Pourvu que ce soit le plus tôt possible, parce que j’en aurais
besoin pour un ouvrage dont je parle plus bas.
J’ai l’honneur, etc.
I. Ducasse.
Faubourg-Montmartre, 32.
Lacroix a-t-il cédé l’édition ou qu’en a-t-il fait? Ou l’avez-vous
refusée? Il ne m’en a rien dit. Je ne l’ai pas vu depuis lors. — Vous
savez, j’ai renié mon passé. Je ne chante plus que l’espoir ; mais,
pour cela, il faut d’abord attaquer le doute de ce siècle (mélancolies,
tristesses, douleurs, désespoirs, hennissements lugubres, méchancetés
artificielles, orgueils puérils, malédictions cocasses, etc.) Dans un
ouvrage que je porterai à Lacroix aux premiers jours de mars, je
prends à part les plus belles poésies de Lamartine, de Victor Hugo,
d’Alfred de Musset, de Byron et de Baudelaire, et je les corrige dans
le sens de l’espoir; j’indique comment il aurait fallu faire. J’y
corrige en même temps six pièces des plus mauvaises de mon sacré
bouquin.
3 —
AU CŒUR DE MON AMOUR
A ROBERT DESNOS.
Un bel oiseau me montre la lumière
Elle est dans ses yeux, bien en vue.
Il chante sur une boule de gui
Au milieu du soleil.
Les yeux des animaux chanteurs
Et leurs chants de colère ou d’ennui
M’ont interdit de sortir de ce lit.
J’y passerai ma vie.
L’aube dans des pays sans grâce
Prend l’apparence de l’oubli.
Et qu’une femme émue s’endorme, ci l’aübe,
La tête la première, sa chute l’illumine.
Constellations,
Vous connaissez la forme de sa tête.
Ici, tout s’obscurcit :
Le paysage se complète, sang aux joues,
Les masses diminuent et coulent dans mon cœur
Avec le sommeil.
Et qui donc veut me prendre le cœur ?
— 4
Je n’ai jamais rêvé d’une si belle nuit.
Les femmes du jardin cherchent à m’embrasser —
Soutiens du ciel, les arbres immobiles
Embrassent bien l’ombre qui les soutient.
Une femme au cœur pâle
Met la nuit dans ses habits.
L’amour a découvert la nuit
Sur ses seins impalpables.
Comment prendre plaisir à tout ?
Plutôt tout effacer.
L’homme de tous les mouvements,
De tous les sacrifices et de toutes les conquêtes
Dort. Il dort, il dort, il dort.
Il raye de ses soupirs la nuit minuscule, invisible.
Il n’a ni froid, ni chaud.
Son prisonnier s’est évadé — pour dormir.
Il n’est pas mort, il dort.
Quand il s’est endormi
Tout l’étonnait,
Il jouait avec ardeur,
Il regardait,
Il entendait.
Sa dernière parole :
« Si c’était à recommencer, je te rencontrerais sans te chercher. »
Il dort, il dort, il dort.
L’aube a eu beau lever la tête,
Il dort.
Paul Eluard1.
1. Tout poème qui ne porte pas mon nom est une imitation.
L’amour me dégoûta dès l’âge de la puberté. Cette mixture d’or-
ganes, pouah ! C’est alors que je conçus ces commerces hétérogènes
avec des sexes idéaux : un livre de Francis Jammes, un piano, un volu-
bilis. Je souffrais de découvrir des stigmates féminins jusque dans la
conformation des nuages et dans la feuille du peuplier. Je croyais
Bayard et la comtesse de Noailles vierges. Puis je songeais au cheva-
lier de Faublas, et je raffolais soudain de l’exclamation d’André Gide à
propos du Kaléidoscope démantibulé : « Comme on comprenait le
pourquoi du plaisir !» Un thermomètre m’agaçait par sa prétention
psychologique : la finesse du mercure ??? J’avais le goût de la typogra-
phie, des châtaignes, de la laine. Un peu de bric-à-brac ne me déplai-
sait pas, pourvu qu’il décelât un goût volumineux et atmosphérique.
J’abhorrais la poudre de riz, et j’aimais sans bornes les échecs. Je me
souviens. Luce était ma partenaire à ce jeu, et à quelques autres.
L’échiquier exsangue, à carreaux verdâtres et pâles, avait la jaunisse
verte. Le cheval galopait fièvreusement, comme mon cœur. La reine...
c’est à cette époque que je compris qu’une reine était une femme.
Mais le corollaire de cette proposition m’échappait encore. Quant à
cette bande de pions qui me barraient la route comme les archers
aux chevaliers de Crécy...
Une jolie absurdité toujours m’agréa. J’aimais une certaine façon
olfactive de caractériser un personnage par la dimension de son nez et
un palais royal par la qualité de son œil-de-bœuf. J’ai cru longtemps
—■ 6 —
qu’il ne fallait s’embarrasser dans la vie ni de femmes, ni de lorgnons,
ni de cœurs, mais avoir l’esprit à peu près nu comme une statue
antique — à peine une feuille de vigne dans la région du cervelet. Et
je fis du sport. Le sport est en train de transformer l’homme. Wells !
quelle blague ! C’est dans ses organes et dans ses muscles que l’homme
se modifie. Le poumon c’est l’homme. Je vois des athlètes rouges
transmettre à leurs enfants des biceps michelangelesques. Des jeunes
filles aux joues épaisses mangent du lard à l’entr’acte du tennis. Les
écrivains ont des pouls clairs et des respirations normales. Des vieil-
lards pleins de greffes font sons relâche de l’alpinisme, et de longues
femmes sanguines sirotent des tonnes d’amour. Sur les places
publiques, de beaux jeunes hommes roses, par jeu, se lancent l’un
contre l’autre de grandes lames d’acier, qui leur tailladent suavement
les muscles pectoraux. Un sang superflu ruisselle dans les rues pictu-
rales. C’est le petit matin du grand soir.
★ _
* +
Du sport, je tombai dans Barrés. Le roman de l’énergie nationale,
etc., etc... Ce qui me chagrine, c’est d’entendre souvent dire qu’Ana-
tole France est un plus grand écrivain que Maurice Barrés. C’est une
galéjade des Martigues. Pour moi, si limpide que soit M. de Arouet,
je lui préfère le petitJean-Jacques, et je situe le Jardin de Bérénice à
sept coudées au-dessus du Jardin d’Epicure. Je lisais aussi, naturelle-
ment, les illuminations et l’Imitation de Jésus-Christ. J’écrivis une
épître en langue d'oc à Monsieur Mac-Orlan, à bord de l’Etoile Matu-
tine, par Caracas (Vénézuéla). Je me chaussais de bottes, et je devins
rapidement végétarien. Ma mère arrosait les salades. Mais mon père,
médiocre chasseur, tuait quelquefois un roitelet, une pie ou une buse.
Lorsque j’eus vingt roitelets, je fus tout décontenancé que cela ne fît
point un grand Roi. Luce préférait les Reines et les reinettes. Elle en
pêchait parfois dans la mare, et les apportait à notre chat. Les chats
ont horreur du vert. Ils ont un poil dans les pattes, et mille piles
dans la fourrure. Ils adorent ma prose, comme eux réticente, sèche
et suspecte.
— 7
+ *
M’aimait-elle ? Je tendis à son cœur des pièges psychologiques. Ce
jour-là, elle portait une robe lilas, et, dans le jardin, tous les lilas
portaient sa robe. Blonds, ses cheveux ? Que sais-je ? Ils encadraient
sa frimousse cnmme un dais d’or le Saint-Sacrement. Elle venait vers
moi, l’échiquier à la main, et je connus soudain qu’elle tenait mon
destin entre ses doigts.
Luce !
Je me disais, à la façon de Platon : si je gagne, elle m’aime ; ei dé mè,
ou. Elle avait tendance à bouger davantage le Roi ou le beau cavalier,
car elle était ferme. Et moi, je tripotais plus souvent la tour ou quelque
pion. Echec à la Reine ! Elle me déroba quelques soldats. Je me sou-
viens qu’alors un merle susurra dans un acacia. Pendant ce temps,
Luce me souffla ma Reine.
Je me disais : si elle gagne, elle ne m’aime pas. Et je songeais à la
gardeuse de dindons que j’avais baisée quatre fois au bord de la mare.
Dans ma poche, je palpais nerveusement mon petit canif à manche de
corne. Luce, un à un, me chipa tous mes pions, et je me sentis nu
devant elle. Mais, soudain, je lui pris une tour. Une tour ! Et j’entendis
mon cœur s’entr’ouvrir pour laisser entrer cette tour.
Luce était devenue grave. Je songeais : Si l’on faisait coup nul,
rien ne serait désespéré. Mais coup sur coup, elle me vola une tour et
un cheval ! Echec au Roi ! Elle leva son front déjà glorieux. Elle me
regardait, un mince poignard d’or dans chaque œil. Elle était moite
d’orgueil. Je bougeai encore quelques pièces, puis ce fut la fin. La gar-
deuse de dindons, une rainette, un volubilis passaient en cavalcade
devant mes yeux obscurs. Echec et mat ! Je me levai. J’avais mon
canif dans la main. Je la frappai en plein visage. Aussitôt, ses joues
tombèrent sur le sol. Mais avant de s’évanouir, elle me cria encore
une fois :
— Echec et mat !
Joseph Delteil.
MÉDAILLON RÉGENCE
Je n’ai trouvé en lui que de l’esprit autant qu’il est possible d’en avoir, un
talent incroyable pour saisir toutes les surfaces, mais rien, rien du tout dessous,
et au lieu d’âme, un miroir qui prend passagèrement toutes les images qu’on lui
présente et n’en conserve le moindre souvenir. Il est impossible de lui parler
raison, prudence, qu’il ne dise cent fois mieux que vous et tout cela ne passe pas
l’épiderme; il ne s’applique à rien mais il saisit tout ; il a surtout un fonds d’anti-
vérité qui occupe toutes ses facultés. De quelque art, science, littérature, antiquité,
connaissance et langue quelconque que vous lui parliez, il en sait trois fois plus
que vous, enlève tout, brouille tout, mais il affirme avec une sincérité et une cha-
leur qui en imposent ; le mensonge en un mot soit en gros soit en détail, les affir-
mations, déceptions, histoires de tout genre, rien ne lui coûte ; bon diable au
demeurant et au fond n’étant qu’un fantôme en bien comme en mal, la plume
dorée et rapide du goût, de l’élégance et un talent incroyable pour grapiller par-
tout.
Marquis de Mirabeau.
CORRESPONDANCE
Citoyen,
Dijon, 16 mars 1923.
36, Boulevard Carnot.
Voulez-vous transmettre à notre ami Desnos toutes nos félicitations pour la
gifle dont il a cinglé le visage de l’insulteur de Robespierre. Sans doute ce Mayr,
au nom de métèque, ne méritait pas cet honneur, mais il est bon, il est d’une haute
moralité, il est d’un exemple à suivre que les lâches qui bafouent nos grands
hommes reçoivent de temps en temps une correction publique.
J’espère que le geste de notre ami marquera le réveil de la jeunesse républi-
caine, la vraie jeunesse qui a le culte de la vérité, la passion de la justice et le saint
amour de l’humanité.
Encouragés par notre trop longue patience les muscadins de la banque, de
l’écritoire et de l’œillet blanc passent toute retenue. Défendons-nous et montrons à
ces beaux-fils que les épiciers, les paysans, les travailleurs qu’ils méprisent en ont
assez de leurs moqueries. Cognons dur.
A vous de tout cœur,
A. Mathiez.
LEÇONS DU SOIR ET DU MATIN
ON PARLE FRANÇAIS
SERVICE
DES
DAMES
TEINTURERIE RROSE SÉLAVY
ROBES OBLONGUES POUR PERSONNES
AFFLIGÉES DU HOQUET.
LE MANIFESTE EST-IL MORT ?
Manifeste
Les musulmans tiennent pour un crime de reproduire les traits
humains. Dans tous les pays du monde l’enfantillage est maître et
l’on nomme scandale l’infraction publique aux lois qu’il a forgées.
Les religions n’ont presque rien en pareille détestation que le scan-
— 10 —
dale. Il a été longtemps mortel à coup sûr, aujourd’hui encore il l’est
parfois et toujours au moins puni. Mais le scandale est rarement pur :
il faut distinguer ses mobiles.
Se trompant sur l’instinct qui les portait à ce déni patent de forces
redoutées, les hommes qui eurent recours à lui cherchèrent à le jus-
tifier dans sa fin. Il y eut le scandale politique : pour faire respecter
les lois, Brutus fait exécuter ses fils coupables. Pauvre bougre.
Il j eut le scandale moral : Jésus et la femme adultère. Ça n’est
pas encore ça.
Wilde aussi avec ses bagues. Ça n’est pas encore ça.
Il y eut le scandale social : Gracchus Babœuf et le bolchevisme.
Respectable, mais un peu court.
Il y eut le scandale militaire : la guerre de 1914, sans commen-
taire.
Il y eut le scandale commercial : Rochette, Jean Galmot.
Il y eut le scandale anarchiste : l’affaire Bonnot (c’est un peu
mieux).
TOUT CELA NE FAIT QUE DES MANCHETTES DE JOUR-
NAUX :
Mais, jeunes gens, regardez plus loin que le bout de votre nez.
Quand assis dans leurs cinémas ou leurs cafés, vous sentez autour
de vous le grouillement de vos contemporains ineptes, qu’est-ce sou-
dain qui fait que vous ricanez et que vous marchez brutalement sur
le pied de votre voisin ?
Morale, commerce, amour?
Et la colère, tu sais bien, la colère qui prend feu sans raison
quand il ne fait ni beau ni laid, qui tient son homme tout un jour :
il casserait les vitres, il jouerait de la trompette, il enlèverait son
pantalon.
Amour, politique ou morale ?
Ou comme le croit Monsieur Gustave Lanson — ils ont pissé par-
tout — serait-ce le désir de se faire remarquer ? Un peu simple.
IL Y A L’AMOUR DU SCANDALE
— 11 —
LE SCANDALE POUR LE SCANDALE
Est-ce pour procréer que vous faites l’amour? ou pour gagner de
l’argent ? ou par ambition ? ou par défi ? ou par lâcheté? ou par habi-
tude? ou par esprit d’imitation? Cachez-vous, alcôves intéressées, turf
de Bourse immonde des exaltations humaines :
L’AMOUR POUR L’AMOUR?
Je n'ai jamais cherché autre chose que le scandale et je l'ai cherché
pour lui-même. Soyez heureux, petits esprits. La voici la belle arme,
elle sort de chez Gastinne-Renette, qui vous permettra de m’abattre
au tournant : il cherche le scandale pour le scandale, tout s’explique.
Allez-jr du mépris, mes mignons ; parlez, je vous en prie, de mon
néant intellectuel. La littérature, la poésie, l’art si je les défends un
peu contre Dada vieux monstre légendaire, ce n’est pas par culte de
ces saint-sulpiceries délirantes — mais je ne vois pas de raison
d’abandonner un moyen commode de provoquer le scandale, ma
pâture. Tout au monde, Dada, la guerre, la peinture, les femmes,
mes amis, les journaux quotidiens et les hebdomadaires, la hideur
et la beauté, le crime, Edith Cavell, Arthur Rimbaud, la petite fille
coupée en morceaux, le marquis de Sade, Jacques Vaché, l’armée
(JE FAIS APPEL AUX JEUNES GENS : QU’ILS DÉSERTENT
EN MASSE), Paris pendant la guerre de Bartholomé, qui tient un
phallus dans sa main, l’ignare Pasteur, le médiocre Banville, Renan
le masturbateur, et les autres oiseaux de passage : Poincaré, le Doc-
teur Vaillant, Madame Steinmann, LES GÉNÉRAUX, les danseuses
de music-hall, la duchesse d’Uzès (il n’y a pas nom de plus vulgaire
à prononcer), Hugo Stinnes, et quelqu’un que je ne peux pas nommer
sans pâlir, malgré cette distance qui nous sépare comme une héroïne
de théâtre avec des ondes hertziennes dans les cheveux — ET JE
VOUS DÉFENDS DE RIRE—une certaine facilité que j’ai d écrire,
et — par exemple — le sacrement de la communion et le fait de ne
pas porter de bretelles,
OUF
— 12 —
n’a jamais été pour moi
que l’occasion du scandale. Belle occasion aux yeux tendres, un pied
à roulette, je t'ai toujours saisie par les cheveux au théâtre, au bordel
ou dans le sein de ma famille, belle occasion parée des charmes du
plaisir; je t'ai toujours reconnue au pied de ces réverbères intellec-
tuels qui brillent dans le siècle nocturne au début duquel nous pro-
menons nos corps ardents, avec des lèvres de défi et un peu de dyna-
mite dans le gousset.
— LE SCANDALE POUR LE SCANDALE —
Voilà la dernière formule qu’il va falloir, jeunes buses, que vous
récitiez à vos examinateurs podagres, quand vous en aurez fini avec
les dates des défaites françaises de Jules César au Maréchal von Hin-
denburg.
Voilà la tête de chapitre qu’il faut ajouter — pour être COM-
PLETS — à vos manuels littéraires, professeurs épris d’idéal et
d’impartialité.
Législateurs, voilà le nouveau délit à punir, le nouveau délit qui
va peupler vos prisons. O JURY NOUS SOMMES LOIN DES
CRIMES PASSIONNELS !
Louis Aragon.
Les objets trouvés sont priés de tenir en laisse leur avis.
Kurt Schwitters.
Pour se sauver il n’y a qu’un moyen : sacrifier sa réputation.
★
J’ai rencontré l’autre jour un homme se disant aviateur ; j’ai
appris depuis qu’il était lift.
Francis Picabia.
13 —
UNE DAME CHARMANTE
Annie n’est pas une personne curieuse ou étonnante. Elle est jolie
quant à certains goûts et elle est Anglaise. Notez bien que ce n’est pas
une Anglaise qu’on voit à Paris, c’est une Anglaise qui est dans un
écran quelconque mais qui vit en Angleterre.
Elle s’appelle Annie Beauxaires et elle est with a content full look
— She — darling O dear !
Elle se pique de manières aristocratiques.
Je l’ai vue sur une plage à l’heure du bain. Elle avait alors quinze
ans et pratiquait l’amour de son sexe avec une grâce touchante. Elle
rit très joliment et ses dents sont essentielles.
Et quand elle est trop jolie, je pense au bel Alcibiade, cette tante
si distinguée qui portait déjà la réclame de l’Urodonal sur la fesse
droite ; car Alcibiade devait être aussi beau à regarder qu’une
femme ambitieuse et c’est la seule manière que j’ai de comprendre la
pédérastie que l’on nomme depuis Alcibiade : le vice grec.
J’ai déjà dit qu’Annie était vicieuse et charmante. Annie, ce n’est
pas une histoire d’amour personnelle, car Annie ne m’aime pas ni ne
me connaît et, si elle me connaissait, rien ne prouve qu’elle m’ai-
merait.
Le corps d’Annie est blanc. Elle est admirablement faite. Elle a
des épaules d’une grande pureté, des seins merveilleux, des cheveux
blonds, mais pas de ceux dont on parle généralement, des cheveux
blonds merveilleux, n’en déplaise à ceux qui aiment mieux les
brunes. Quant à moi j’aime la peau des blondes.
Il faut voir Annie spécialement le soir avec beaucoup de lumière
car elle est dans tout son éclat. Il faut aussi la voir parler d’amour.
14 —
Enfin elle est très belle, étendue sur un divan avec une grande non-
chalance.
Il est un fait qu’Annie aime aussi les hommes — half and half.
Quel genre d’homme ? Qui le sait ? On pourrait le savoir mais ça n’a
aucune importance. Annie est d’une intelligence relative, il ne faut
donc pas lui demander ce qu’elle ne sait pas elle-même.
On l’a vu se promener avec un très beau garçon tout-à-fait sans
intérêt, avec un poète petit, ni bien ni mal, qui riait toujonrs. On
sait qu’elle s’amuse énormément, on sait encore un tas de choses
d’une banalité désespérante.
O dear, says Annie, you are a pretty young fellow ! Corne dar-
ling. I will tell you what is love, love around the world.
You are a funny boy, my dear !
Quelle histoire insupportable que celle-là !
Et quand je pense aux femmes je me rappelle toujours ces beaux
adjectifs qu’on donne aux dames antiques. Rien n’est plus charmant
que d’entendre dire : Diane aux beaux seins ; Antigone au beau
bras î
Diane ma belle Diane votre sein voluptueux était une mauvaise
invention.
Antigone, je vous baise les mains.
Jacques Baron.
ÇA ME FAIT UNE BELLE ROUE
Benjamin Péret,
— 15 —
LE SIGNE DU ROI
La reconnaissance périt avec la rouille,
ainsi que les savants.
La vie est lourde et grossière mais le printemps
me tutoie
comme la morale.
Je n’ai pas de larmes.
Le ciel de France est bleu
Le ciel d’Allemagne est bleu.
Le ciel de New-York est bleu.
Ma famille c’est Port-Royal
Ma famille était métrique
en rythme maladroit de poètes ;
les poètes ont la même direction :
le soleil, la lune, la maîtresse,
l’amour, les sources, l’éditeur.
Partout est indifférent
du schisme libre-penseur.
Je voudrais être ailleurs
mais pas à la mode,
dans un décor occupé
où les femmes se donnent pour démonter quelque chose.
En haut de ce poème il y a un escalier,
escalier colimaçon,
dont les milliers d’années
saisissent la musique arbalète
sur vingt mots sans feuilles.
Tacite est en or,
le juif en mercure,
la morale est timide,
la vie quotidienne une croyance
près du bruit.
Francis Picabia.
— 16 —
PECHERIE VEUT UNE AUTO
FILM
Pulchérie est bonne d’enfant. Elle admire les autos et sa grande
joie est de se promener en taxi. Quand elle promène les enfants
confiés à sa garde elle baille d’admiration devant les belles autos qui
défilent dans l’Avenue des Champs-Elysées.
Dans sa chambre elle rêve d’un beau jeune homme qui aurait une
superbe automobile. Un jour qu’elle promène les enfants de ses
patrons, elle fait la connaissance d’un jeune homme, Glouglou, qui lui
dit avoir une auto, et lui propose de l’emmener faire une promenade.
Elle accepte. Glouglou revient peu après pour la prendre. Elle laisse
les enfants à la garde d’une vieille dame qui lui paraît respectable.
La voiture de Glouglou est une vieille guimbarde qui a des ratés
continuels, et fait des bonds à chaque fois qu’elle avance de quelques
mètres. Les occupants de la voiture sont terriblement secoués à
chaque pas. Un coup de vent emporte le chapeau de Pulchérie, qui
passe devant la voiture. Glouglou se précipite. Un coup de vent
emporte le chapeau un peu plus loin. La voiture, capricieuse,
part à toute vitesse, Pulchérie au volant, et ..écrase Glouglou.
La voiture revient en arrière et écrase plusieurs fois Glouglou. Glou-
glou se relève et court après l’auto qui file de plus en plus vite. A un
détour de la route, la voiture tamponne une autre auto. Sous le choc,
Pulchérie est projetée dans l’auto que sa voiture a tamponnée pen-
dant que l’occupant de celle-ci est projeté dans l’auto de Pulchérie.
Les autos poursuivent leur chemin. Glouglou qui accourt pour
retrouver Pulchérie est de nouveau écrasé à plusieurs reprises
— 17 —
comme précédemment. Pulchérie continue son chemin. Elle donne
un trop brusque coup de volant et s’en va dans un champ où
paissent des vaches et des taureaux. Ces animaux sont la terreur de
Pulchérie. Un taureau fonce droit sur l’auto et d’un coup de corne
l’envoie à l’autre extrémité du champ où un autre taureau la renvoie
au premier. Ce manège recommence cinq ou six fois. A la fin un
troisième taureau la prend en écharpe et l’envoie dans un étang. Pul-
chérie sort de l’eau couverte de vase. Elle a bu beaucoup d’eau. Elle
vomit un liquide noirâtre plein de grenouilles. Elle enlève les pattes
des grenouilles qu’elle met dans son mouchoir et se rejette à l’eau
pour repêcher de nouvelles grenouilles auxquelles elle enlève les
pattes. Elle se dispose à s’en aller, son mouchoir à la main, quand elle
rencontre Glouglou, qui accourt tout essoufflé, suant et poussiéreux.
Il la cherche et est heureux de la retrouver. Pulchérie est furieuse et
le gifle. Glouglou tourne sur lui-même et tombe dans le fossé qui
borde la route. Il se relève couvert de boue. Ils s’en vont, chacun de
leur côté, et détournant la tête à chaque pas, tristement.
La vieille dame, aussitôt après le départ de Pulchérie, emmène les
enfants et téléphone aux parents en leur disant de lui envoyer un
million, faute de quoi, les enfants seraient mis à mort. Les parents
refusent et avertissent la police.
Pulchérie revient, cherche les enfants. Disparus ! et la vieille
dame également. Elle cherche de tous côtés et, la nuit venue, sous la
neige, qui s’entasse sur sa tête, et y forme un cône ; rentre chez ses
patrons auxquels elle raconte tout. On la chasse. Elle se promet de
retrouver les enfants. Elle rencontre Glouglou et lui narre toute l’his-
toire. Glouglou est désespéré et jure de l’aider.
Glouglou a une idée : Il ira dans toutes les maisons de la ville
et dans tous les appartements des maisons pour retrouver les
enfants. Pour le guider, Pulchérie lui donne la photographie des
enfants.
Dans la première maison où il sonne une vieille dame vient lui
ouvrir tenant sous son bras un affreux roquet. Glouglou regarde
alternativement le roquet et la photographie. En voyant Glouglou,
le chien aboie furieusement, et la vieille dame essaie de le consoler
— 18
sans s'inquiéter de Glouglou. Un autre chien sort de la maison, se
glisse sous les jupes de la vieille dame. La vieille dame veut l’attra-
per. Glouglou aussi. Le chien va dans la rue, mais il court plus vite
que Glouglou. Pour l’arrêter, Glouglou prend un sac de charbon sur
le dos d’un charbonnier et le jette sur le chien. Le chien est aplati
comme une galette. Il remue encore un peu la langue. La vieille
dame est furieuse et pleure. Glouglou n’a pas oublié le but de sa
visite et lui demande si elle n’a pas vu deux enfants. Elle regarde
Glouglou et la photo, et le prenant pour un fou, se sauve en oubliant
l’autre chien qui, en courant après elle, tombe dans une bouche
d’égout. Glouglou remonte dans la maison et frappe à une autre
porte. C’est un boxeur prêt à monter sur le ring qui vient lui ouvrir.
Sa photo en mains, il regarde le boxeur et la photo. Le boxeur qui
attendait un entraîneur, croit avoir affaire à lui. Il saisit Glouglou
par les cheveux et le tient à bout de bras. Glouglou se débat. Le
boxeur lui donne un coup de poing. La tête de Glouglou oscille
comme un pendule et son visage paraît de plus en plus abruti. Un
autre coup de poing et il est knock-out. Le boxeur le prend comme
un paquet et le jette dans l’escalier. Glouglou roule jusqu’en bas et
tombe la tête la première dans une boîte à ordures. Quand il se
réveille il a la tête dans la boîte à ordures. Il s’aperçoit qu’il a
un œil poché et le nez sanguinolent. Glouglou change de maison.
C’est à une villa qu’il sonne. Un singe vient lui ouvrir. Glouglou
recule effrayé, regarde sa photo et le singe, et entre en rasant les
murs. Personne... Il crie : « Patron ! Patron!... » Un perroquet répète
ses paroles et vient voler autour de lui. Il se décide à explorer la
maison. Il ouvre une porte. C’est une chambre à coucher dans la-
quelle se trouvent deux crocodiles, l’un sur le lit, l’autre sous une table.
Il s’enfuit effrayé. Il ouvre une autre porte. Voici une salle à man-
ger, où se trouve un chameau. Dans le salon il y a un mouton. Dans
la cuisine, une autruche qui lui prend son chapeau. 11 monte les esca-
liers. Il s’appuie à la rampe. La rampe est un serpent dont la tête
vient frôler la sienne. Glouglou est de plus en plus effrayé. Arrivé au
premier étage, Glouglou qui regarde en l’air, tombe dans un aqua-
rium. Un crabe saisit son orteil, et Glouglou ne peut arriver à s’en
débarrasser. Il caresse le crabe pour l’amadouer. Le crabe serre tou-
— 19 —
jours plus fort. Glouglou sort un minuscule petit vaporisateur de sa
poche et parfume le crabe. Le crabe serre toujours. Il est obligé de
verser sur le crabe le contenu d’un flacon de chloroforme. Le crabe
s’endort et desserre son étreinte. Mais Glouglou s’endort aussi dans
l’eau. Quand il se réveille, des vers à soie ont fait leur cocon dans
ses cheveux. Glouglou s’en débarrasse avec beaucoup de peine. Glou-
glou s’en va. Enfin après avoir pénétré dans 3478 maisons, il arrive
harassé, se traînant sur les genoux, à celle où les enfants sont pri-
sonniers.
Pendant ces recherches, les parents des enfants ont lancé de
multiples policiers à la recherche des enfants et ont promis une forte
prime. Chaque jour, des gens qui ont vu l’annonce de la prime les
conduisent dans des endroits différents. Un jour à la Morgue, le len-
demain chez des saltimbanques, d’où ils reviennent galeux. Un autre
jour on les conduit dans une gabarre où deux enfants inconnus
s’étaient réfugiés. Ils tombent dans une soute à charbon d’où ils
sortent dans un état minable. Chaque jour ils reçoivent une oreille,
un nez, une dent, un orteil, qu’on leur dit appartenir à leurs enfants.
Ils sont désespérés.
Dans ses recherches, Glouglou a acquis de l’expérience. Il sait
qu’il ne faut pas entrer par la porte pour avoir les renseignements
que l’on désire. Il veut grimper par la gouttière sur le toit de la
maison. Arrivé à mi-chemin, la gouttière se détache et Glouglou se
balance dans le vide. Il continue néanmoins à grimper, mais son
poids l’entraîne de plus en plus en arrière. Arrivé à l’extrémité de la
gouttière, il est très éloigné du mur. Passe un fiacre. Glouglou fait
des mouvements désordonnés pour atteindre le toit. A un moment
la gouttière touche la tête du cocher. Le choc le renvoie au but, il
s’agrippe au toit. La gouttière revient en arrière, frappe les brancards du
fiacre et les brise. Le cheval part seul. Le cocher est furieux, le voya-
geur aussi et il rosse le cocher. Glouglou voulait descendre par la
cheminée, mais il y en a une quinzaine. Laquelle est la bonne ? Glou-
glou met la tête à l’orifice de chaque cheminée. Dans l’une d’elles se
trouve un ramoneur qui fait sortir un jet de suie. Glouglou est aussi
noir que le ramoneur, dont la tête apparaît hors de la cheminée. A
la fin Glouglou tire à la courte-paille la cheminée par laquelle il
20 -
-
doit descendre. Celle-ci désignée par le sort est si étroite que Glou-
glou arrivé en bas est démesurément allongé. Il est dans une cave
obscure et basse, il est obligé de marcher très courbé. Il sort de la
cave, pénètre dans une autre cave vide dont le sol est couvert d’une
couche de boue qui arrive jusqu’à ses genoux. La cave est très haute
mais, habitué déjà à marcher courbé, il a beaucoup de peine à se
redresser. Il aperçoit le jour au loin, au-dessus de sa tête et veut
sortir. Il est obligé de grimper au mur en s’aidant des aspérités. Il
tombe deux ou trois fois et quand, sortant par une bouche d’égout, il
arrive à la lumière, il est tout étonné de se trouver dans la rue, juste
en face de la maison où il voulait pénétrer. Il aperçoit la porte de la
maison entr’ouverte. Il entre. Aussitôt retentit une sonnerie. Pandan-
leuil accourt. Glouglou se cache derrière une tenture. Glouglou veut
voir l’homme et tire la tenture. Elle tombe et les couvre tous deux. Paul
se dégage et brise une chaise sur Pandanleuil. Pandanleuil tombe. Glou-
glou saute de joie, et heurte une corniche de la tête. Il tombe. Pan-
danleuil revient à lui et ligote Glouglou puis il le met dans un poêle
gigantesque. Glouglou revient à lui. Pandanleuil fait du feu dans le
poêle. Glouglou est désespéré et se voit perdu. Il pleure et si abon-
damment qu’il éteint le feu. Après avoir allumé le feu, Pandanleuil
part en se frottant les mains. Glouglou à l’aide de ses dents défait ses
liens et sort du poêle. Il est de plus en plus sale. Il a très faim et
mange les glands de la tenture. Rassasié, il se dirige vers l’escalier.
Il y a une épaisse couche de poussière dans l’escalier. Pour ne pas
qu’on voit la trace de ses pieds sur la poussière, il monte l’escalier
sur les mains. Au premier étage il veut se redresser et renverse
une potiche qui se brise. Une porte s’ouvre et la « mère Volauvent »
apparaît. Il aperçoit par l’entrebâillement de la porte une main
d’enfant et ne doute pas de se trouver dans la maison où ils sont pri-
sonniers. La vieille femme regarde en l’air. Glouglou en profite pour
se glisser dans ses jupes. Il la soulève sur ses épaules, la jette dans
l’escalier et pénètre dans la chambre, par la porte entr’ouverte. La
vieille tombe dans l’escalier, rebondit de marche en marche, comme
si elle était en caoutchouc et tombe la tête la première dans le poêle.
Glouglou s’empare des deux enfants et s’apprête à s’enfuir, quand
Pandanleuil surgit d’une armoire, un énorme gourdin à la main et
— 21 —
m
l’assomme. Il enferme les deux enfants dans l’armoire, sort de la
chambre, et la ferme à clef. Quand Glouglou revient à lui, la
chambre est pleine de fumée et les enfants ont tellement pleuré
qu’il .y a un long filet d’eau qui sort de l’armoire, traverse la pièce et
glisse sous la porte. Il y a le feu. Glouglou défonce tous les meubles
avant de s’apercevoir que les enfants sont dans l’armoire. Il en prend
un sous chaque bras et s’apprête à sortir. La porte est fermée à clef.
Le plafond s’effondre. Pandanleuil surgit des décombres, un gourdin
à la main. Après une lutte, Glouglou le tue avec un panneau de
l’armoire. Glouglou veut se servir du panneau de l’armoire pour
défoncer la porte. Il le tient si maladroitement qu’il s’en frappe la
tête avec et se fait une bosse énorme sur le sommet de la tête. Les
enfants pleurent de plus en plus. L’eau monte dans la pièce. Glou-
glou en a jusqu’aux chevilles et des morceaux de bois commencent à
flotter. Glouglou tient alors le panneau sous son bras, mais lorsqu’il
frappe la porte, la planche glisse sous son bras et il se frappe la tête
contre la porte. Nouvelle bosse sur le front. Il finit par défoncer la
porte à coups de pieds, non sans s’être blessé aux genoux et avoir
déchiré son pantalon. Son pied est pris dans le panneau de la porte.
Après de longs efforts, il finit par se dégager, et va tomber sur
Pandanleuil. Sous l’influence de la chaleur, le ventre de celui-ci
s’est gonflé, et quand Glouglou tombe dessus il éclate. Les intestins
sortent. Glouglou prend les enfants et s’apprête à sortir par l’escalier
a}rant sous chaque bras un des enfants qui pleurent toujours. L’esca-
lier est en flammes. Il revient précipitamment. Il entend les pom-
piers qui accourent. Arriveront-ils à temps ? Glouglou est désespéré.
Il cherche un moyen d’échapper à la mort et regarde de tous côtés.
Tout à coup il aperçoit les intestins de Pandanleuil. Il les déroule. Il
y en a des mètres et des mètres et ils sont extensibles comme du
caoutchouc. Glouglou accroche une des extrémités de l’intestin au
balcon et un des enfants à l’autre bout et le descend avec précaution ;
lorsqu’une flamme lui brûle les mains. 11 lâche tout. L’enfant tombe
et s’enfonce dans le sol. Il n’y a que sa tête qui sort. Deux hommes se
mettent à tirer l’enfant par la tête. Ils arrachent la tête et tombent à
la renverse. Morceaux par morceaux ils l’arrachent. Puis avec de
la seccotine ils le recollent. L’enfant se sauve à toutes jambes mais est
— 22 —
;
rattrapé par un agent qui dans sa précipitation perd son képi, son
manteau et son bâton blanc. L’intestin remonte. Glouglou attache
l’autre enfant et veut le descendre. Les pompiers sont arrivés et les
lances fonctionnent. Il laisse glisser l’enfant qui est happé par le jet
d’une lance et oscille dans le jet d’eau à la façon des œufs dans les tirs
forains. Il faut qu’un autre pompier grimpe à la lance, et mettant la
main sur l’orifice arrête le jet d’eau pour que l’enfant arrive sur le
sol. Glouglou saisit à son tour l’intestin, mais comme il est lourd, il
descend brusquement de plusieurs mètres et se balance verticalement.
Puis à mi-chemin du sol, l’intestin se rompt entre ses deux bras
tendus. Il reste suspendu par une main, ayant dans l’autre le reste de
l’intestin. D’en bas on tire sur l’intestin et le corps de Glouglou se
fend en deux, Une partie tombe à terre pendant que l’autre reste
suspendue à l’intestin. A l’aide d’un sécateur semblable à ceux dont
se servent les jardiniers pour, étant à terre, couper les hautes
branches d’un arbre, un pompier coupe l’intestin, pendant que
l’autre saisit la moitié du corps de Glouglou, comme les bouchers
décrochent un quartier de viande. On réunit les deux parties et on
les fixe ensemble à l’aide de clous gigantesques qui dépassent de
l’autre côté de son corps Glouglou qui vient de revenir à lui les
coupe avec son canif. Puis il arrache les clous qu’il casse et suce
comme de la gomme. Il s’en va accompagné des deux enfants qu’il
ramène à leurs parents. Joie des parents. Sourire de Glouglou. On lui
offre de choisir sa récompense. Il veut une auto. L’ayant, il va
trouver Pulchérie, l’embrasse et l’emmène.
Benjamin Péret.
23 —
9
A ANDRE BRETON.
21 heures le 26.11.22.
En attendant Breton
en nattant Vattente
Sous quelle tente ?
nos tantes
ont elles engendré
les neveux silencieux
que nul ne veut sous les deux
appeler ses cousins
en nattant les cheveux du silence ?
six lances
percent mes pensées en attendant
Breton
A BENJAMIN PÉRET.
Notre paire quiète, ô yeux !
que votre « non ! » soit sang (fy fier ?)
que votre araignée rie,
que vol honteux soit fête (au fait)
Sur la terre (commotion !)
Donnez-nous, aux foues réduites,
notre pain quotidien.
Part donnez nous de nos œufs foncés
comme nous part donnons
— 24
à ceux qui nous ont offensés.
nounou laissez-nous succomber à la tentation
et d’aile ivrez nous du mal.
Exhausser ma pensée
Exaucer ma voix.
¥■ *
A FRANCIS PICABIA
; syllabes
Prisonnier des ' et non des sens ;
[ mots
Pris au nier... ?
des cils a bai j sei,
( sses
haï
ah ! hais non des sens
Mais des formes-prisons.
Les moules des mers
aux moules des mères
empruntent leur forme d’œil
homme — houle d’aimer
* *
Ail de ton œil
Je t’aime à cause de cela
Vers quel verre, œil vert, diriges-tu tes regards
chaussés de vair ?
— 25 -
■ ■■■
*
♦ *
Plus que la nuit nue
la femme vient hanter
nos rêves, pareils à Antée,
entés des désirs renaissants.
Nos pères ! c’est parce que vous n’aviez pas les yeux pers.
Changez vos cœurs au pair avec les dollars.
Change ton cœur ! Opère sans douleur !
*
■¥■ ¥
.
J’aime vos cous marqués de coups
maîtresse des fauves
mes tresses défaut,
f’aime des desseins non des seins
j’aime les dents des dames
Pis ! j’aime les pieds non les pies non les pis.
Mais l’épée ?
A MARCEL DUCHAMP
Mes chants sont si peu méchants !
Ils ne vont pas jusqu’à Longchamp
Ils meurent avant d’atteindre les champs
où les bœufs s’en vont léchant
les astres
désastres.
★
+ *
L’an est si lent
Abandonnons nos ancres dans l’encre
Mes amis.
* *
A JACQUES BARON
Un à un
les Huns
passent l'Aisne
nos aines confondent nos haines
Henri Heine
un à un
les Huns
deviennent des nains
perdez-vous dans l'Ain
et non dans l'Aisne
Hein ?
Dormir
Les sommes nocturnes nous révèlent
la somme des mystères des hommes
Je vous somme, sommeils, de
M'étonner
et de tonner
Les chats hauts sur les châteaux
d'espoir
Croquent des poires d'angoisse
La nuit
l'ennui
l'âme nuit
Et puis il y ale puits
qui s'enfonce dans la terre
ou s'atterrent
les faibles
que brise la brise
— 27 —
Poète venu de Lorient
que dis-tu de V Orient
l’or riant ?
P’OASIS
A LOUIS ARAGON
Nous sommes les pensées arborescentes qui fleurissent sur les chemins des
jardins cérébraux.
Sœur Anne, ma sainte Anne, ne vois-tu rien venir... vers Sainte Anne ?
Je vois les pensées odorer les mots.
Nous sommes les mots arborescents qui fleurissent sur les chemins des jar-
dins cérébraux :
De nous naissent les pensées.
Nous sommes les pensées arborescentes qui fleurissent sur les chemins des
jardins cérébraux.
Les mots sont nos esclaves
Nous sommes
Nous sommes
Nous sommes les lettres arborescentes qui fleurissent sur les chemins des
jardins cérébraux.
Nous n’avons pas d’esclaves.
Sœur Anne, ma sœur Anne, que vois-tu venir vers Sainte Anne ?
Je vois les Pan C
Je vois les crânes KC
Je vois les mains DCD
Je les M
Je vois les pensées BC et les femmes MÉ
et les poumons qui en ont AC de l’RLO,
poumons noyés des ponts N MI.
Mais la minute précédente est déjà trop A G.
Nous sommes les arborescences qui fleurissent sur les déserts des jardins
cérébraux.
Robert Desnos.
- 28 —
PHILIPPE SOUPAULT
André Breton et Philippe Soupault : Les Champs
magnétiques (1920).
29 -
■Hsaa------:..................... ...... ........... ——^
■1 .....................
■ '■ ■ ..........'■
11 -
André Breton
ON NE PEUT PAS LIRE DEUX LIVRES A LA FOIS
AUSSI VRAI
que le plus mauvais livre de l’année
c’est LE DIABLE AU CORPS
le meilleur
c’est
m LE FLEIIÏE AMOUR
pap J. DELTEIL
Toutes les femmes voudront être aimées comme
Ludmilla. La fascinatrice dresse hors du livre son visage
pathétique, épris de vices, de mystère et de sang. G’est
VAmour en 1923, trouble, esthétique, malsain et trois fois
mortel. Aventure de la vie, aventure du cœur, aventure
des sens. Et pour cadre symbolique, tout le fleuve Amour...
PRIX : 6.75
LA RENAISSANCE DU LIVRE
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GALLIMARD
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