— 3 CHASSE GARDÉE Je quittai la classe de philosophie le samedi à quatre heures et je rentrai chez moi, nullement dans la joie de voir la semaine finie, mais l’esprit obsédé par l’obligation où je me trouvais de retourner au lycée après dîner pour prendre part à la composition des Trois Arts. Néanmoins je me déshabillai, à mon habitude, et je me mis à table, vêtu d’une chemise grise, d’un pantalon noir et de chaus settes blanches; après mon repas, je fumai un gros cigare. Mon cigare fini je pensai à m’apprêter. Je regardai ma pendule : neüfheureset quart. Or je devais être au lycée à neuf heures. La plus abominable catas trophe ne m’eût pas bouleversé davantage. « Je ne serai pas là-bas avant neuf heures et demie, me dis-je, et je n’aurai que deux heures et demie pour faire la composition que mes camarades font en trois. » L’idée qu’ils étaient déjà à l’ouvrage pendant que j’étais encore chez moi à m’habiller, m’était particulièrement intolérable, Je fus vite prêt. Vêtu Dieu sait comme, les cheveux au vent, la cravate dénouée, je me saisis de mes livres, de mon carton à dessins, de mon sous-cul et de quelques papiers où j’avais pris des notes pour apporter, le cas échéant, un secours illicite à ma mémoire défaillante. Dans ma préci pitation, je pris deux paires de gants. Quand j’arrivai au lycée, je m’aperçus qu’il n’était que neuf heures dix. Ce me fut un soulagement. Je fus également tranquillisé quand je vis d’autres élèves arriver sans se presser, la canne à la main et l’air dégagé, pour prendre part à la composition qui, à vrai dire (je m’en aperçus alors), était un examen. C’est donc avec le plus grand calme que je m’approchai d’une tan gente qui me remit quelques feuilles de papier bleu, me communiqua le sujet de J a composition, puis m’annonça que j’avais toute la nuit devant moi pour achever son travail, et même une partie du lende main si je voulais. La première épreuve portait sur la musique. Le sujet était le sui vant : « La S3 r mphonie en ut mineur de Beethoven. » J’en eus de la joie, car je connaissais assez bien cette œuvre. Je rassemblai immé diatement mes connaissances : « Cette symphonie est la cinquième.