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niaiserie, ou du moins ce que les hommes appellent ainsi, lui est aussi précieuse
qu’une rhétorique sublime, car, dans la nature, une brindille cassée vaut en
beauté et en importance les étoiles, et ce sont les hommes qui décrètent de la
beauté ou de la laideur.
Les objets Dada sont formés d’éléments trouvés ou fabriqués, simples ou
hétéroclites. Les Chinois, il y a plusieurs milliers d’années, Duchamp, Picabia
aux Etats Unis, Schwitters et moi-même pendant la guerre 1914, étaient les
premiers à inventer et répandre ces jeux de sagesse et de clairvoyance qui
devaient guérir les êtres humains de la folie furieuse du génie et les ramener
plus modestement à leur place équitable dans la nature. La beauté naturelle
de ces objets leur est inhérente comme celle d’un bouquet de fleurs cueilli
par des enfants. Un empereur de Chine, il y a des milliers d’années, envoyait
ses artistes chercher, jusque dans les contrées lointaines, des pierres aux
formes rares et fantastiques qu’il collectionnait et plaçait sur un socle aux
côtés de ses vases et ses dieux. Il est clair que ce jeu ne peut convenir à nos
penseurs arrivistes modernes qui guettent l’amateur, comme un portier
d’hôtel à la gare attend ses clients.
Chantes-tu encore avec un rire farouche la diabolique chanson du moulin
de Hirza-Pirza en secouant tes boucles de tzigane, mon cher Janco? Je n’ai
pas oublié les masques que tu fabriquais pour nos “Manifestations Dada.”
Ils étaient terrifiants et ordinairement badigeonnés d’un rouge sang. Avec
du carton, du papier, du crin, du fil de fer et des étoffes tu confectionnais tes
foetus langoureux, tes sardines lesbiennes, tes souris en extase. En 1917 Janco
exécuta des oeuvres abstraites dont l’importance ne fit que croître. C’était
un homme passionné qui avait foi dans l’évolution de l’art.
Auguste Giacometti était en 1916 déjà un homme arrivé, pourtant il aimait
les Dadaistes et se mêlait souvent à leurs démonstrations. Il avait l’allure d’un
ours aisé et portait sans doute par sympathie pour les ours de son pays, une
casquette en peau d’ours. L’un de ses amis me confia, que dans la doublure
de ce bonnet, il cachait un livret de caisse d’épargne bien garni. Lors d’une
fête Dada il nous décerna un souvenir de trente mètres de long, peint aux
couleurs de l’arc en ciel et couvert d’inscriptions sublimes. Un soir nous
décidâmes de faire modestement un peu de publicité privée pour Dada. En
passant d’une brasserie à l’autre du Limmatquai, il ouvrait la porte avec
précaution, articulait avec une voix forte et précise: “Vive Dada!” et refer
mait la porte en suite avec le même soin. Les consommateurs restaient
bouches bées en lâchant leurs saucisses. Oue pouvait bien signifier ce cri
mystérieux lancé par un homme mur et décent dont l’aspect n’avait rien d’un
mystificateur ni d’un métèque. Giacometti peignait à cette époque des étoiles
en fleurs, des incendies cosmiques, des gerbes de flamme, des gouffres flam